Temps de lecture: 6 min

Novembre. Il fait humide et froid, l'actualité internationale est effrayante, l'ambiance déprimante et pour couronner le tout, il va falloir bientôt songer à organiser Noël. Pour une certaine catégorie de population, le plus souvent jeune et toujours masculine, novembre, c'est aussi l'occasion de se dépasser en s'adonnant à un nouveau «challenge» (c'est un défi, mais en plus cool car en anglais). Des «challenges», il y en a plein les réseaux sociaux, mais celui-ci est particulièrement original. Il s'appelle le «No Nut November» («Pas de jus en novembre», oui, nut au singulier désigne le contenu, au pluriel le contenant) et il consiste à ne pas éjaculer pendant un mois.

Pendant le NNN, pas de masturbation, pas de rapport sexuel avec éjaculation. À quoi cela peut-il bien servir?, se demande-t-on. Les réponses sont variées. Référence au taoïsme, pour lequel l'abstinence permet de préserver sa force vitale, pour les uns. Tentative de contrôler une addiction au porno par le biais d'un sevrage brutal pour d'autres.

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Fabien, artisan de 28 ans de la région parisienne, a décidé de tenter le «No Nut November» pour la première fois cette année, «pour se recentrer». Il estime avoir un «léger» problème avec le visionnage de pornographie et la masturbation, et a décidé de profiter de ce défi pour remettre les pendules à l'heure. Récemment converti au christianisme, il estime que cette démarche s'inscrit naturellement dans la logique de sa foi. Les tentations sont fortes et il admet détourner le regard dans la rue quand il croise des jeunes filles aux appas apparents. Mais «ça permet de travailler le contrôle», explique-t-il.

La création de ce défi a donné naissance à une communauté «no fap» («pas de branlette»), composée notamment d'hommes désireux de se sevrer de leur addiction à la masturbation. Comme le souligne cet article du Huffington Post, datant de 2019, les supposés «bénéfices de la rétention de sperme» sont très souvent mentionnés sur les forums dédiés à la chasteté.

D'autres participants à ce festival de l'abstinence évoquent une augmentation de leur énergie, une concentration plus efficace et un sommeil de meilleure qualité. Pourtant, pour Paula Hall, psychothérapeute spécialiste du traitement des addictions au porno au Laurel Centre de Londres, il existe peu de preuves scientifiques étayant ces effets bénéfiques.

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Pour d'autres encore, il s'agit d'améliorer ses performances... sportives. Selon Oliver*, 19 ans, qui fréquente la salle de sport au minimum trois fois par semaine, l'abstinence provoquerait un pic de testostérone qui, à son tour, permettrait de démultiplier la puissance musculaire. C'est prouvé par des études scientifiques, affirme-t-il. Lui ne fait toutefois pas le «No Nut November» cette année, «parce qu['il a] une copine depuis trois semaines, c'est vraiment pas le bon moment!».

Cette théorie à la popularité assez répandue trouve son origine dans la publication d'une étude appelée «A research on the relationship between ejaculation and serum testosterone level in men», datée de 2003, dans laquelle une expérience menée avec vingt-huit participants montrait un pic de testostérone après une période d'abstinence de sept jours. Elle a donné naissance au «7 day no fap challenge», lancé sur Reddit en 2011, consistant à ne pas se masturber pendant une semaine, afin d'augmenter son niveau de testostérone.

Or, cette étude a fait l'objet d'une rétractation, ce qui signifie qu'elle n'est plus digne de figurer dans le corpus scientifique et que son contenu a été invalidé (ce qui ne l'empêche pas d'être accessible à la lecture). C'est ainsi que naissent les légendes, les rumeurs et les défis saugrenus sur internet. C'est aussi comme cela que la désinformation circule et devient impossible à arrêter. Fumeuse ou pas, une fois la théorie lancée et prétendument étayée par «la science», elle est accaparée par les réseaux sociaux et se transforme en vérité prête à alimenter les biais des internautes pas regardants sur la vérification des sources.

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Alors, si un mois sans éjaculation ne porte probablement pas à conséquence (et comme le dit Oliver, «avoir réussi à relever un défi difficile, de toute façon, c'est bon pour l'ego»), il est intéressant de noter la fragilité des références «scientifiques» des internautes quand il s'agit de leur santé, et notamment des jeunes hommes à un âge où ils sont en pleine construction sociale et psychique, qui coïncide avec celui de la prise de risque et d'un certain sentiment d'invincibilité physique.

L'étude «The broad reach and inaccuracy of men's health information on social media: analysis of TikTok and Instagram», publiée en novembre 2022, analyse la proportion de désinformation en matière de santé sexuelle masculine sur les réseaux sociaux (TikTok et Instagram, les deux plateformes à la plus forte croissance et très utilisées par les jeunes) et révèle que la grande majorité des informations qui y sont proposées sur le sujet (troubles de la fonction érectile, rétention de sperme, vasectomie, testostérone, infertilité, maladie de La Peyronie) ne sont pas exactes.

Elle précise aussi qu'une toute petite minorité des contenus est fournie par des médecins qui, eux, donnent des informations plus fiables (ils ne représentent que 10,3% des sujets sur Instagram et 12,9% sur TikTok). On note qu'aucun contenu concernant le sujet «rétention de sperme», le plus populaire sur les deux plateformes, n'est produit par un docteur.

Les croyances étayées par à peu près rien, sinon une vague étude qui se révèle bidon, font florès chez les jeunes qui préfèrent se renseigner sur des réseaux sociaux plutôt que d'aller consulter un spécialiste: selon une étude conduite par le Pew Research Center, aux États-Unis, un tiers des jeunes adultes (entre 18 et 29 ans) s'informent régulièrement par le biais de la plateforme TikTok. Et ce n'est pas typiquement masculin: certaines femmes pensent que s'introduire de l'ail dans le vagin peut soigner les mycoses, par exemple.

Ces mythes alimentent des biais déjà plus ou moins ancrés et servent de ciment social en provoquant la naissance de communautés. Ciment devenu de plus en plus virtuel, mais dont l'importance est réelle aux yeux de ceux qui participent à ces mouvements.

Il arrive aussi que ces actions s'inscrivent dans des initiatives de santé publique: le défi «Dry January», par exemple, qui consiste à ne pas boire une goutte d'alcool pendant tout le mois de janvier pour «purger» les excès des fêtes de fin d'année, est né d'une campagne britannique lors de laquelle un groupe de lutte contre l'alcoolisme s'était associé à une agence gouvernementale en 2015 –en France, le «Dry January», promu par des associations, n'est pas soutenu par le gouvernement et rencontre une forte opposition de la part de l'industrie viticole.

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Il semble que dans l'inconscient collectif, la privation soit souvent synonyme de purge et, donc, de bienfaits. Il n'y a qu'à voir la popularité des jeûnes, intermittents ou pas, à l'efficacité parfois fantaisiste. En dehors du sevrage dans le cas d'une addiction potentiellement nuisible pour la santé (drogue, cigarettes, alcool, nourriture dans le cadre de troubles du comportement alimentaire), ce type de démarche relève davantage du défi personnel, social ou communautaire –certains masculinistes, comme les Proud Boys, estiment que la soi-disant augmentation de testostérone provoquée par l'abstinence sexuelle attirerait davantage les femmes.

Dans le cas du «No Nut November», outre le manque absolu de cadre scientifique justifiant les bienfaits de l'abstinence pendant un mois (à l'inverse, une vaste étude montre qu'une éjaculation régulière tout au long de la vie aide à protéger du cancer de la prostate) et malgré sa popularité, il semble ne pas être si suivi que ça. Corey Price, vice-président de la plateforme de contenus pornographiques Pornhub, affirmait en 2019 au magazine Rolling Stone que la fréquentation de la plateforme était essentiellement la même en novembre que le reste de l'année. Dont acte(s).

Et puis, il y a le côté potache du «No Nut November», bien réel. Tout ce qui touche aux organes reproducteurs est toujours d'une importance primordiale dans les sociétés humaines et l'aspect ludique du défi n'est pas négligeable. À l'opposé de l'aridité d'un mois entier d'abstinence totale, les plus courageux peuvent s'adonner au «Destroy Dick December», qui consiste à éjaculer quotidiennement le nombre de fois correspondant au numéro du jour (une fois le 1er décembre, deux fois le 2, etc.). Oliver a calculé: le 31 décembre, il faut jouir toutes les quarante-six minutes.

Des mathématiciens badins ont également imaginé le «Fibonacci February», qui constitue à éjaculer en fonction de la suite de Fibonacci, c'est-à-dire en additionnant chaque jour les chiffres des deux jours précédents. Le 10e jour c'est 55 fois, le 11e jour, 89 fois, le 12e, 144 fois... de quoi rapidement provoquer un court-jus.

*Le prénom a été changé

QOSHE - «No Nut November»: est-ce que s'empêcher d'éjaculer pendant un mois valait le coup? - Bérengère Viennot
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«No Nut November»: est-ce que s'empêcher d'éjaculer pendant un mois valait le coup?

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24.11.2023

Temps de lecture: 6 min

Novembre. Il fait humide et froid, l'actualité internationale est effrayante, l'ambiance déprimante et pour couronner le tout, il va falloir bientôt songer à organiser Noël. Pour une certaine catégorie de population, le plus souvent jeune et toujours masculine, novembre, c'est aussi l'occasion de se dépasser en s'adonnant à un nouveau «challenge» (c'est un défi, mais en plus cool car en anglais). Des «challenges», il y en a plein les réseaux sociaux, mais celui-ci est particulièrement original. Il s'appelle le «No Nut November» («Pas de jus en novembre», oui, nut au singulier désigne le contenu, au pluriel le contenant) et il consiste à ne pas éjaculer pendant un mois.

Pendant le NNN, pas de masturbation, pas de rapport sexuel avec éjaculation. À quoi cela peut-il bien servir?, se demande-t-on. Les réponses sont variées. Référence au taoïsme, pour lequel l'abstinence permet de préserver sa force vitale, pour les uns. Tentative de contrôler une addiction au porno par le biais d'un sevrage brutal pour d'autres.

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La création de ce défi a donné naissance à une communauté «no fap» («pas de branlette»), composée notamment d'hommes désireux de se sevrer de leur addiction à la masturbation. Comme le souligne cet article du Huffington Post, datant de 2019, les supposés «bénéfices de la rétention de sperme» sont très souvent mentionnés sur les forums dédiés à la chasteté.

D'autres participants à ce festival de l'abstinence évoquent une augmentation de leur énergie, une concentration plus efficace et un sommeil de........

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