Temps de lecture: 6 min

Il y a quelques années, le père d'une de mes amies est mort au restaurant, étouffé par une bouchée avalée de travers. Personne n'a vraiment su quoi faire. Il y avait un médecin à proximité, mais le temps qu'il intervienne et désobstrue ses voies respiratoires, il était trop tard, le père de mon amie avait fait un arrêt cardiaque. Il n'a pas pu être réanimé.

Sur les réseaux sociaux, il arrive que l'on puisse voir des incidents de ce type capturés par des caméras de surveillance: des scènes au cours desquelles une personne vole au secours d'un malheureux dîneur, l'attrapant par derrière et lui faisant la célèbre «manœuvre de Heimlich». Et souvent, heureusement, ça marche. Le morceau de poulet ressort, la victime bleuissante reprend des couleurs, manifeste sa gratitude et chacun peut se sentir rasséréné à l'idée qu'il y a toujours quelqu'un, quelque part, susceptible de savoir ce qu'il faut faire en cas d'urgence.

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Et vous, vous savez quoi faire quand quelqu'un s'étouffe devant vous? Se coupe? Se brûle? Tombe dans les pommes? Arrête de respirer? Se met à tenir des propos incohérents? Comment savoir si vous auriez les bons réflexes?

PLS, pas PLS? Tête en avant ou en arrière en cas de saignement de nez? Est-ce qu'on doit taper dans son dos si la personne s'étouffe? Est-ce le moment de pratiquer un massage cardiaque ou pas? Et qu'est-ce qu'on fait si ça saigne, on met sous l'eau, on désinfecte? Lorsque ce type d'incident survient, il peut arriver que personne dans les alentours ne soit réellement formé pour réagir correctement. Voire que les témoins proposent des solutions toutes plus fantaisistes les unes que les autres, simplement parce que les gestes de premiers secours ne font pas suffisamment partie de l'éducation et de la formation tout au long de la vie.

En France, ce que Santé publique France qualifie de «traumatismes non intentionnels» (ce que le citoyen lambda appelle une «blessure à la suite d'un accident») entraînent environ 40.000 décès chaque année, dont 21.000 sont dus à un accident de la vie courante (c'est-à-dire tout ce qui n'intervient pas sur la route ou au travail). Noyade, accident de circulation, chute... Il y en a pour tous les goûts, sans parler des accidents vasculaire cérébraux (AVC) et autres malaises susceptibles de mal tourner.

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Les Français connaissent-ils les gestes qui sauvent? Sur le papier, oui. Selon le site du ministère de l'Éducation nationale, leur apprentissage est obligatoire à l'école. Dans le premier degré, il s'agit d'une «sensibilisation aux gestes qui sauvent», dispensée par des enseignants titulaires du certificat prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1).

Dans les faits, ce n'est pas aussi simple. Maxine, directrice d'école dans le XIVe arrondissement de Paris, explique que les maîtresses «sensibilisent» les enfants, et qu'elle-même a été formée aux premiers secours «parce qu'[elle a] une inspectrice de circonscription très pointilleuse et à cheval sur l'application des règles, qui a rendu la formation obligatoire pour tous les directeurs d'établissements. Mais dans [s]on école précédente [dans le XVIIIe arrondissement, ndlr], l'inspection n'était pas gérée de la même manière du tout et rien n'était prévu.»

En revanche, Léa, 29 ans, professeure d'histoire-géographie au lycée dans le 1er arrondissement de Marseille, explique avoir fait la démarche à 16 ans, seule. «La formation avait été proposée lorsque j'étais au collège, mais il y avait un nombre de places très réduit et les candidats étaient donc tirés au sort. Je n'avais pas été sélectionnée. J'ai donc décidé de me former par mes propres moyens, à 16 ans.»

Même chose pour Georges, son compagnon, qui enseigne dans un établissement du 3e arrondissement de Marseille et a appris les gestes de premier secours en passant le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur en accueils collectifs de mineurs (BAFA). Ni l'un ni l'autre ne se l'est vu proposer pendant ses années d'études pour devenir prof (elle à Paris, lui à La Rochelle). Ils ne peuvent donc pas transmettre ce savoir à leurs élèves et compte tenu de l'ancienneté de leur formation (plus de dix ans), ils seraient moyennement en position de porter efficacement secours en cas d'urgence.

En principe, la loi spécifie que depuis 2015, «les candidats à l'examen du permis de conduire sont formés aux notions élémentaires de premiers secours en cas d'accident de la circulation» et que «cette formation est sanctionnée dans le cadre de l'examen du permis de conduire». Dans la réalité, quand elle existe, elle paraît plus que rudimentaire (un sondage informel, mené sur Twitter auprès de quarante-trois personnes qui ont passé leur permis depuis 2015, révèle une absence de formation pour 83,7% des candidats). Rémi, 18 ans, qui vient de passer son permis en Normandie, témoigne: «À l'examen, on m'a posé une question dessus. Mais je n'avais pas eu de formation.»

Sauf dans certains cas particuliers (sur les chantiers et dans les ateliers où sont effectués des travaux dangereux), il n'est pas obligatoire que des employés connaissent les gestes de premiers secours dans les entreprises. En revanche, ils peuvent bénéficier de formations dans le cadre du plan de développement des compétences grâce aux opérateurs de compétences, organismes qui participent à les financer. Il est aussi possible d'utiliser pour cela son compte personnel de formation, ou de réserver une journée de cours de façon privée.

Divers organismes proposent la formation PSC1: les pompiers, la Croix-Rouge, la Fédération nationale de protection civile, par exemple. Il s'agit d'un stage de sept heures, à l'issue duquel vous est délivré un certificat, à ne pas confondre avec la «sensibilisation aux gestes qui sauvent» qui ne dure que deux heures et dispense les rudiments de la conduite à tenir en cas d'urgence (elle est proposée gratuitement par certaines mutuelles, renseignez-vous).

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Lors de la formation PSC1, celle qui dure une journée entière, on apprend notamment à désobstruer les voies aériennes en cas d'étouffement. On y découvre que contrairement aux idées reçues, on ne tape pas dans le dos de quelqu'un qui a avalé de travers s'il respire encore (c'est-à-dire si l'objet ne bouche pas complètement sa trachée). Non seulement ça ne sert à rien, mais c'est même potentiellement dangereux, car cela risque de déplacer l'objet et de le mettre dans une position où pour le coup, il risque de faire totalement obstruction. En revanche, si la personne ne peut plus du tout respirer, il faut taper, cinq fois, avant de tenter des compressions abdominales (ou thoraciques pour un nourrisson, une femme enceinte ou une personne obèse).

On apprend aussi dans quelle position mettre une personne qui fait un malaise. Assise si elle a du mal à respirer, allongée dans les autres cas. À comprimer une plaie, à faire un garrot, à gérer une brûlure (mettre de l'eau à température ambiante, pas glacée!), un coup de chaud, un choc à la tête, un saignement de nez (en avant, la tête, pas en arrière). L'importance d'alerter avant toute chose. Et, évidemment, l'incontournable massage cardiaque et son rythme effréné (le même que la chanson «Staying alive»), sans oublier le mode d'emploi d'un défibrillateur automatisé externe (c'est facile).

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Mais surtout, cette journée permet de poser des questions et de se préparer psychologiquement à affronter ce type de situation. Le passage de la théorie à la pratique est moins brutal lorsqu'on a déjà fait la démarche physique et mentale, notamment dans le cadre de petites mises en pratique fictives mais efficaces. Lors de ces formations, des cas concrets sont imaginés, durant lesquels il faut venir en aide à un autre participant ou à un mannequin, et au cours desquels, déjà, l'adrénaline monte et le sentiment d'urgence se concrétise.

Et si je me trompe? Si en voulant l'aider, je ne fais pas les bons gestes et que la victime meurt ou est blessée à la suite de mon intervention? Si vous avez tenté un secours d'urgence, selon une loi datant de juillet 2020, vous jouissez du statut de «citoyen sauveteur» qui vous exonère de toute responsabilité civile et vous protège de toute poursuite dans tous ces scénarios (sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle).

Notons qu'il existe des applications mobiles, comme Staying Alive, qui, une fois installées, signalent l'emplacement des défibrillateurs à proximité du lieu où vous vous trouvez. Elles permettent également de devenir «bon samaritain» et d'être alerté en cas d'arrêt cardiaque près du lieu où vous vous trouvez, pour que vous puissiez intervenir et dispenser ou aider à dispenser les premiers gestes en attendant l'arrivée des secours (il faut avoir été formé au PSC1).

En octobre 2017, le président Emmanuel Macron a annoncé son objectif de voir 80% de la population formée aux gestes des premiers secours. Or, selon la Croix-Rouge, seuls 40% des Français l'étaient en septembre 2022. S'ils manifestent davantage d'intérêt depuis les attentats de 2015, le nombre d'individus aptes à apporter une aide d'urgence est bien insuffisant. En outre, il est recommandé de renouveler la formation tous les deux ans, car tout s'oublie et car parfois, certaines recommandations changent. Il n'y a plus qu'à.

QOSHE - Il suffit d'une journée pour apprendre les gestes qui sauvent - Bérengère Viennot
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Il suffit d'une journée pour apprendre les gestes qui sauvent

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08.12.2023

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Il y a quelques années, le père d'une de mes amies est mort au restaurant, étouffé par une bouchée avalée de travers. Personne n'a vraiment su quoi faire. Il y avait un médecin à proximité, mais le temps qu'il intervienne et désobstrue ses voies respiratoires, il était trop tard, le père de mon amie avait fait un arrêt cardiaque. Il n'a pas pu être réanimé.

Sur les réseaux sociaux, il arrive que l'on puisse voir des incidents de ce type capturés par des caméras de surveillance: des scènes au cours desquelles une personne vole au secours d'un malheureux dîneur, l'attrapant par derrière et lui faisant la célèbre «manœuvre de Heimlich». Et souvent, heureusement, ça marche. Le morceau de poulet ressort, la victime bleuissante reprend des couleurs, manifeste sa gratitude et chacun peut se sentir rasséréné à l'idée qu'il y a toujours quelqu'un, quelque part, susceptible de savoir ce qu'il faut faire en cas d'urgence.

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PLS, pas PLS? Tête en avant ou en arrière en cas de saignement de nez? Est-ce qu'on doit taper dans son dos si la personne s'étouffe? Est-ce le moment de pratiquer un massage cardiaque ou pas? Et qu'est-ce qu'on fait si ça saigne, on met sous l'eau, on désinfecte? Lorsque ce type d'incident survient, il peut arriver que personne dans les alentours ne soit réellement formé pour réagir correctement. Voire que les témoins proposent des solutions toutes plus fantaisistes les unes que les autres, simplement parce que les gestes de premiers secours ne font pas suffisamment partie de l'éducation et de la formation tout au long de la vie.

En France, ce que Santé publique France qualifie de «traumatismes non intentionnels» (ce que le citoyen lambda appelle une «blessure à la suite d'un accident») entraînent environ 40.000 décès chaque année, dont 21.000 sont dus à un accident de la vie courante (c'est-à-dire tout ce qui n'intervient pas sur la route ou au travail). Noyade, accident de circulation, chute... Il y en a pour tous les goûts, sans parler des accidents vasculaire cérébraux (AVC) et autres malaises........

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