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Nous sommes au début de 1968. Au printemps, la France entrera en éruption. Martin Luther King et Bobby Kennedy seront assassinés. Puis l'année se terminera avec la mise en orbite d'Apollo 8 et la promesse d'aller bientôt vérifier ce qui se passe sur la Lune. Mais pour le moment, c'est la planète Mars qui nous intéresse.

Dans le Londres en ébullition des «Swinging sixties», un jeune David Bowie tente de percer dans le théâtre, le cinéma et la chanson. Il est passé de groupe en groupe, a sorti plusieurs singles qui ont été autant de flops retentissants. Chez Essex Music, son éditeur David Platz discute avec un collègue, Geoff Heath, à la recherche d'un auteur pour adapter en anglais une chanson française. Il s'agit de «Comme d'habitude» de Claude François, énorme tube dès sa sortie en France l'année précédente. Jacques Revaux l'a écrite et composée, Cloclo en a modifié le refrain. Elle serait encore aujourd'hui la chanson générant le plus fort revenu annuel pour la SACEM.

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Platz pense à Bowie, auquel il ne trouve aucun talent de compositeur mais dont il apprécie les adaptations qu'il a précédemment réalisées à sa demande. David Bowie s'attelle à la tâche: le résultat n'est pas brillant. Il remet une version geignarde, intitulée «Even a Fool Learns to Love» («Même les idiots apprennent à aimer»), qui raconte les amours déçues d'un clown triste. Sa propre passion pour le mime et la commedia dell'arte l'aurait inspiré –mais nous sommes encore loin, très loin d'Aladdin Sane

David Bowie exposé au Brooklyn Museum. | Vladimir via Flickr

Comme en témoigne cet enregistrement de 1968 sur lequel Bowie superpose sa voix à celle de Claude François, lui-même ne semble guère convaincu par le potentiel tubesque de sa version. Il reconnaîtra plus tard avoir écrit «des paroles vraiment nulles». Geoffrey Heath partage son avis et rejette la chanson: ses supérieurs hiérarchiques exigent «une star, pas ce plouc venu de Bromley» (une banlieue du Grand Londres). Les éditeurs français ont peu ou prou la même réaction.

Bowie n'attend pas grand résultat de cette tentative. Mais un an plus tard, en 1969, il tombe des nues. «Quand j'ai renvoyé la démo, je pensais ne plus en entendre parler. Un jour, je l'entends à la radio et je me dis “Mais c'est la musique, ce doit être ma chanson!”», raconte-t-il dans une émission télévisée en 2002. Il réalise aussitôt que les paroles ont changé… et que Sinatra en est l'interprète. Paul Anka, qui a flairé le bon coup en entendant la chanson en France, en a acquis les droits et a offert «My Way» à Sinatra.

«Ça m'a rendu furieux, longtemps –je n'ai pas décoléré pendant une année. Puis je me suis dit que je pouvais écrire un truc aussi fort que ça, et que j'allais même écrire quelque chose qui y ressemble un peu Assis sur un banc dans un parc, Bowie chantonne une mélodie. Il rentre chez lui et s'installe à son piano. Le soir même, la première version de «Life on Mars?» est bouclée.

Un détournement? Bowie considérait, et tenait à le faire savoir, qu'avoir utilisé «Comme d'habitude» pour écrire son chef-d'œuvre ne s'apparentait pas «à un vol, mais à une déclaration de propriété légitime». Et il l'a fait savoir: en 1971, sur la pochette de son album Hunky Dory figurait cette mention manuscrite devant le titre de la chanson: «Inspired by Frankie». Avouons que «Inspired by Cloclo» aurait sonné moins cool.

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«Life on Mars?» est le «meilleur morceau qu'il ait écrit», «son Citizen Kane», selon certaines critiques. Un phénomène, qui donnera son nom à une série télé et sera repris par Barbra Streisand. À propos de cette dernière, Bowie, vachard, déclare que son interprétation était «vraiment horrible. Désolé, Barb, mais c'était atroce.»

Et dire que cette chanson n'aurait pas existé sans ce monument de la variété française! On attend avec impatience, grâce à l'intelligence artificielle, d'écouter ce que Bowie aurait pu faire d'«Alexandrie, Alexandra»…

QOSHE - Comment Claude François a inspiré à David Bowie l'un de ses plus grands tubes - Elodie Palasse-Leroux
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Comment Claude François a inspiré à David Bowie l'un de ses plus grands tubes

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08.12.2023

Temps de lecture: 3 min

Nous sommes au début de 1968. Au printemps, la France entrera en éruption. Martin Luther King et Bobby Kennedy seront assassinés. Puis l'année se terminera avec la mise en orbite d'Apollo 8 et la promesse d'aller bientôt vérifier ce qui se passe sur la Lune. Mais pour le moment, c'est la planète Mars qui nous intéresse.

Dans le Londres en ébullition des «Swinging sixties», un jeune David Bowie tente de percer dans le théâtre, le cinéma et la chanson. Il est passé de groupe en groupe, a sorti plusieurs singles qui ont été autant de flops retentissants. Chez Essex Music, son éditeur David Platz discute avec un collègue, Geoff Heath, à la recherche d'un auteur pour adapter en anglais une chanson française. Il s'agit de «Comme d'habitude» de Claude François, énorme tube dès sa sortie en France l'année précédente. Jacques Revaux l'a écrite et composée, Cloclo en a modifié le refrain. Elle serait encore aujourd'hui la chanson générant le plus fort revenu annuel pour la SACEM.

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