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Le fameux «complexe de Napoléon» serait à réévaluer: du haut de son 1,69 mètre, l'empereur dépassait de deux centimètres environ la moyenne de ses concitoyens du même sexe. Mais alors, d'où lui vient cette réputation de nabot coléreux et capricieux, dont il ne semble pouvoir se dépêtrer? De la perfide Albion, bien sûr! Plus précisément de ses plus féroces et inventifs caricaturistes, qui ont perfectionné l'art de la satire dès le XVIIIe siècle.

C'est James Gillray, génial satiriste considéré comme le père du dessin de presse, qui a ouvert les hostilités. En juin 1803, il s'inspire des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift pour dessiner un Napoléon Bonaparte lilliputien, fièrement campé dans la main du roi George III. Le monarque britannique le traite de «pernicieux» et d'«odieux petit reptile». L'année 1803 marque «le point de départ débridé et originel de la longue carrière caricaturale de Napoléon, en Angleterre mais également en Europe», confirme l'historien Pascal Dupuy dans son article «Quand Bonaparte était déjà Napoléon: aux sources de l'image caricaturale de Napoléon en Grande-Bretagne».

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L'attaque est en effet novatrice: s'il avait jusque-là fait l'objet de centaines de dessins satiriques outre-Manche, Napoléon n'y avait que très rarement été tourné en ridicule. Il s'agissait même parfois de l'opposé: l'année précédente (celle de la signature du traité de paix d'Amiens), le consul était représenté par un compatriote de James Gillray, Charles Williams, comme un homme du monde, son élégance et sa courtoisie tranchant avec la vulgarité criarde de deux Anglais –John Bull, personnage conservateur imaginé comme antithèse au sans-culotte pendant la Révolution française, et son épouse. Éventuellement, on lui prêtait une certaine fourberie, mais encore assortie d'une belle prestance.

Napoléon représenté en «Little Boney», un sobriquet correspondant à l'image d'un homme-enfant aux insupportables caprices. | James Gillray via Wikimedia Commons

Le surnom de «Bonny Party» (ou «Bunny Party» selon les caricatures) dont John Bull affuble le Français lui en vaudra bientôt un autre, donné par James Gillray: «Little Boney», un sobriquet correspondant à l'image d'un homme-enfant aux insupportables caprices –et peut-être même enfanté par le diable lui-même, s'enhardissent les Allemands, encouragés par le frondeur britannique.

James Gillray est alors au sommet de sa gloire; son talent lui vaut une solide réputation en Europe. Il possède un don certain pour moquer les dérives de l'époque, ce qu'il entreprend avec une grande liberté de ton. Son rôle d'influenceur n'a pas échappé au gouvernement britannique: entre 1797 et 1801, il aurait secrètement reçu une pension annuelle de 200 livres sterling (20.000 livres selon le cours actuel, soit 22.800 euros), versée pour l'inciter à s'attaquer, dans ses caricatures, à la Révolution française, puis à la folie des grandeurs napoléonienne.

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James Gillray a livré pendant des années une «guerre des images» sans pitié contre Napoléon Bonaparte. Au point que celui-ci, exilé sur l'île d'Elbe en 1814, aurait déploré les dégâts occasionnés par les caricatures du Britannique sur sa réputation, selon lui plus importants que ceux qu'auraient causé une douzaine de généraux: on se souviendrait de lui comme d'un tyran court sur pattes et frustré de l'être, rendu assoiffé de pouvoir par ce défaut de hauteur.

James Gillray a livré pendant des années une «guerre des images» sans pitié contre Napoléon Bonaparte. | James Gillray via Wikimedia Commons

Mais l'empereur français a lui-même joué un rôle dans la prolifération des violentes «attaques graphiques» dont il a été la victime, rappelle Pascal Dupuy. «Si le débat fait encore rage aujourd'hui et s'il continue à faire vendre du papier, c'est que Napoléon, de son vivant, a su largement édifier sa propre gloire, tandis que dans le même temps s'orchestrait une légende noire, politique, satirique et visuelle dont les racines se trouvent en Grande-Bretagne.»

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Une propagande savamment orchestrée et en grande partie visuelle: son peintre officiel, Jacques-Louis David, l'immortalise en héros fringant franchissant le Grand-Saint-Bernard, avant l'apogée du sacre. «Les images qu'il élaborait ou dont il se plaisait à favoriser la diffusion soulignent en général ses qualités, […] son sens militaire, son courage ou sa science du combat, ou […] son caractère magnanime et pacificateur.»

Mais tout auréolé de gloire et de puissance qu'il était, Napoléon Ier ne parvenait pas à empêcher la circulation des caricatures de James Gillray. Ce n'était pas faute d'avoir essayé: furieux, il a même rédigé une série d'impérieuses lettres diplomatiques au gouvernement britannique pour exiger la censure de cette presse bien trop impudente à son goût. Missives auxquelles les ministres britanniques n'auraient, dit-on, même pas pris la peine de répondre.

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Napoléon tout petit? Une pure invention de la propagande anglaise

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17.11.2023

Temps de lecture: 3 min

Le fameux «complexe de Napoléon» serait à réévaluer: du haut de son 1,69 mètre, l'empereur dépassait de deux centimètres environ la moyenne de ses concitoyens du même sexe. Mais alors, d'où lui vient cette réputation de nabot coléreux et capricieux, dont il ne semble pouvoir se dépêtrer? De la perfide Albion, bien sûr! Plus précisément de ses plus féroces et inventifs caricaturistes, qui ont perfectionné l'art de la satire dès le XVIIIe siècle.

C'est James Gillray, génial satiriste considéré comme le père du dessin de presse, qui a ouvert les hostilités. En juin 1803, il s'inspire des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift pour dessiner un Napoléon Bonaparte lilliputien, fièrement campé dans la main du roi George III. Le monarque britannique le traite de «pernicieux» et d'«odieux petit reptile». L'année 1803 marque «le point de départ débridé et originel de la longue carrière caricaturale de Napoléon, en Angleterre mais également en Europe», confirme l'historien Pascal Dupuy dans son article «Quand Bonaparte était déjà Napoléon: aux sources de l'image caricaturale de Napoléon en Grande-Bretagne».

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L'attaque est en effet novatrice:........

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