Temps de lecture: 4 min

Lorsque le groupe terroriste État islamique (EI) a revendiqué le meurtre de quatre-vingt-quatre Iraniens lors d'un attentat-suicide commis par deux kamikazes début janvier, de nombreuses personnes se sont sûrement demandé, en apprenant la nouvelle aux informations: «L'État islamique? Ça existe encore?»

À partir de 2015-2017, ce groupe, également connu sous les appellations «État islamique en Irak et au Levant» (ISIL) et «Daech», a dirigé avec férocité 12 millions d'habitants dans une partie du nord-ouest de l'Irak et de l'est de la Syrie que ses chefs avaient érigée au statut de «califat». Puis, au terme d'intenses combats, une coalition menée par des soldats américains, irakiens et kurdes a expulsé les miliciens de leur dernière place forte dans la ville irakienne de Mossoul. En 2019, ses groupes partisans dispersés dans d'autres recoins de l'Asie, ainsi que quelques autres en Europe, ont également été défaits et cela a semblé être la fin de la sordide histoire de ce groupe.

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Au cours d'une conversation téléphonique début janvier, Bruce Hoffman, chercheur spécialiste du contre-terrorisme et de la sécurité nationale au Council on Foreign Relations, un cercle de réflexion américain, m'a expliqué que le groupe s'est encore réduit et se concentre sur des opérations «hyper localisées» depuis que ses ambitions régionales et locales se sont soldées par des catastrophes. Mais, a-t-il souligné, il n'a pas totalement disparu et ses membres ou ses disciples se sont à l'occasion montrés capables d'infliger des destructions aussi massives qu'aléatoires.

L'attaque du 3 janvier a eu lieu au cimetière où est enterré Qassem Soleimani, chef des opérations militaires et terroristes iraniennes au Moyen-Orient, le jour du quatrième anniversaire de son assassinat (il a été tué lors d'une frappe de drone près de l'aéroport de Bagdad, en Irak). Le groupe État islamique, mouvement musulman sunnite, considère les chiites tels que les dirigeants iraniens: comme des apostats à éradiquer. La cérémonie autour du mémorial de Soleimani, qui rassemblait des centaines de chiites pieux dans un seul et même lieu, était une cible toute trouvée (en plus de 84 morts, il y a eu 284 blessés).

On ne sait pas comment les deux agents de Daech, armés de ceintures d'explosifs, se sont infiltrés dans la foule. Bruce Hoffman pense qu'ils ont probablement traversé la frontière depuis l'Afghanistan, où le groupe a sa plus grande section, l'État islamique au Khorassan (EI-K). Ce groupe compte entre 1.500 et 4.000 combattants, dont beaucoup s'engagent régulièrement dans des combats contre les dirigeants talibans du pays.

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Au début, l'Iran a imputé l'attentat au cimetière de Qassem Soleimani à Israël­, ce qui était peu crédible dans la mesure où les attaques d'Israël en Iran sont des assassinats ciblés –contre des scientifiques nucléaires, par exemple. Lorsque le groupe État islamique l'a revendiqué, les médias d'État iraniens ont prétendu que l'EI avait obéi aux ordres d'Israël, accusation risible à laquelle les dirigeants iraniens ne croient probablement pas eux-mêmes.

L'EI-K avait déjà mené des opérations en Iran. En 2022, un homme armé a tué quinze chiites iraniens dans un sanctuaire de Chiraz. En 2018, des tireurs ont tué vingt-cinq personnes qui assistaient à un défilé militaire à Ahvaz. En 2017, un homme a tiré des coups de feu au Parlement de Téhéran et au même moment, des kamikazes se faisaient exploser en tuant dix-sept personnes près du mausolée de l'ayatollah Rouhollah Khomeini, fondateur de la théocratie iranienne.

L'attaque de la plus grande ampleur perpétrée par ce groupe a eu lieu au Sri Lanka à Pâques en 2019, lorsque des terroristes de l'EI (ou inspirés par l'EI) ont fait exploser leurs sacs à dos dans quatre hôtels et trois églises, tuant plus de 260 personnes, dont 5 citoyens américains.

Pourtant, aucune de ces attaques n'a entraîné de suite ou de renaissance conséquente. Elles ont été des actes isolés de violence de masse, sans autre effet politique que de montrer que Daech existe encore.

L'EI-K s'est répandu dans presque toutes les provinces d'Afghanistan depuis la prise de pouvoir par les talibans en 2021, organisant au moins 334 attaques cette année-là, contre 60 l'année précédente. Ailleurs cependant, le groupe n'a pas grand-chose à revendiquer. Selon les recherches de Bruce Hoffman, il compte quelques milliers de partisans en Syrie et en Irak, soit l'ombre de ce qu'il était auparavant; environ 500 combattants lui sont liés en Égypte, 200 aux Philippines et moins d'une centaine en Libye.

Al-Qaida, autre groupe terroriste qui semble avoir disparu, est un tantinet plus actif: il compte entre 7.000 et 12.000 combattants en Somalie, une poignée de milliers en Syrie, encore quelques milliers dans la péninsule arabique, et entre 180 et 400 dans le sous-continent indien. Lui aussi est engagé dans des attaques locales plutôt que régionales –et encore moins mondiales.

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Voilà pourquoi le terrorisme est considéré comme à peine plus qu'un hoquet sur les radars des responsables militaires et des renseignements américains qui sont, de nos jours, préoccupés par des menaces plus conventionnelles posées par la Russie, la Chine, la Corée du Nord et des terroristes soutenus par des États liés à l'Iran, comme le Hamas, le Hezbollah et les Houthis.

Pour autant, il arrive que des incidents surviennent sur le territoire américain; par exemple, un attentat en 2019 par un agent d'Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) qui a tué trois soldats américains et en a blessé huit autres dans une base aéronavale à Pensacola, en Floride. Bruce Hoffman estime que les responsables américains ne surveillent plus d'assez près les terroristes étrangers. Mais encore une fois, c'est surtout le terrorisme intérieur qui l'inquiète, comme l'indique le titre de son nouvel ouvrage, paru en ce mois de janvier 2024: God, Guns, and Sedition – Far-Right Terrorism in America («Dieu, les armes et la sédition – Le terrorisme d'extrême droite aux États-Unis»).

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Daech est-il en train de revenir en force sur la scène mondiale?

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15.01.2024

Temps de lecture: 4 min

Lorsque le groupe terroriste État islamique (EI) a revendiqué le meurtre de quatre-vingt-quatre Iraniens lors d'un attentat-suicide commis par deux kamikazes début janvier, de nombreuses personnes se sont sûrement demandé, en apprenant la nouvelle aux informations: «L'État islamique? Ça existe encore?»

À partir de 2015-2017, ce groupe, également connu sous les appellations «État islamique en Irak et au Levant» (ISIL) et «Daech», a dirigé avec férocité 12 millions d'habitants dans une partie du nord-ouest de l'Irak et de l'est de la Syrie que ses chefs avaient érigée au statut de «califat». Puis, au terme d'intenses combats, une coalition menée par des soldats américains, irakiens et kurdes a expulsé les miliciens de leur dernière place forte dans la ville irakienne de Mossoul. En 2019, ses groupes partisans dispersés dans d'autres recoins de l'Asie, ainsi que quelques autres en Europe, ont également été défaits et cela a semblé être la fin de la sordide histoire de ce groupe.

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