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Lors d'une conférence de presse à Tel-Aviv vendredi 3 novembre, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré que les dirigeants israéliens lui avaient assuré qu'ils condamneraient la vague de violence exercée contre les Palestiniens par des colons juifs en Cisjordanie. C'est bien. Mais c'est loin d'être suffisant.

Depuis l'attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas, des colons y ont tué plus de 120 Palestiniens et en ont blessé au moins 2.000. Ils ont expulsé de force plus de 800 Palestiniens de chez eux, fait sauter leurs générateurs et leurs panneaux solaires et brûlé les tentes de bergers bédouins.

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Encore une fois: ceci ne s'est pas produit à Gaza, mais en Cisjordanie, qui est dirigée par l'Autorité palestinienne, pas par le Hamas. Certaines des personnes tuées appartenaient à des groupes d'activistes, mais la plupart ont été attaquées uniquement parce qu'elles étaient palestiniennes. Dans de nombreux cas, elles n'avaient aucun rapport avec l'attaque du Hamas en Israël depuis Gaza.

Le 25 octobre, le président Joe Biden a averti que la vague d'attaques en Cisjordanie mettait «de l'huile sur le feu» des tensions libérées par la guerre, et affirmé: «Cela doit cesser.» Les tueurs «doivent être tenus pour responsables de leurs actes».

Pourtant, les autorités israéliennes n'ont depuis pas dit un mot sur cette violence, pas même après au moins un incident où des colons ont attaqué des soldats israéliens qui essayaient d'interrompre leurs actes criminels.

Blinken s'est rendu à Tel-Aviv le 3 novembre pour répéter que les États-Unis soutenaient le droit d'Israël à se défendre –mais également pour insister, avec plus de force qu'auparavant, sur trois choses.

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La première, c'est qu'Israël doit ordonner la mise en place d'une «trêve humanitaire» pour que nourriture et aide médicale puissent entrer dans Gaza et les otages être libérés (le Premier ministre Benyamin Netanyahou a refusé et dit que la libération des otages par le Hamas devait intervenir avant toute trêve).

La deuxième, c'est qu'Israël doit faire davantage d'efforts pour minimaliser le nombre de victimes civiles dans sa lutte justifiée contre le Hamas (pour l'instant, ce n'est pas une réussite; le sénateur Chris Murphy, un des Démocrates qui soutient le plus ardemment Israël, a fait une déclaration le 3 novembre dans laquelle il a qualifié le nombre de victimes «d'inacceptable et intenable»).

La troisième, c'est qu'Israël doit tenir pour «responsables» les colons violents (ce qui reste à faire).

Si Blinken n'est pas entré dans les détails, en tout cas pas pendant sa conférence de presse, voilà pourtant ce que cela devrait signifier: les colons doivent être arrêtés et, lorsque c'est pertinent, inculpés pour crimes graves, notamment pour meurtres. Ces arrestations et ces inculpations doivent être annoncées très publiquement par les autorités de maintien de l'ordre. Netanyahou devra approuver très publiquement ces arrestations. Les procès devront être médiatisés, voire filmés et diffusés, dans le monde entier.

Les responsables israéliens doivent faire tout cela notamment pour le bien du pays lui-même –impossible de permettre à des groupes de justiciers autoproclamés de tout saccager dans un pays démocratique– mais plus encore pour dissocier le gouvernement israélien de ces tueries, pour envoyer clairement le message qu'il ne confond pas les Palestiniens et le Hamas et qu'il s'engage à protéger les Palestiniens innocents de Cisjordanie.

Si les responsables ne le font pas, alors ils devront s'attendre à ce que le monde conclue qu'ils approuvent les meurtres perpétrés par ces colons (ou en tout cas, qu'ils ne s'en préoccupent pas beaucoup); qu'ils ne font pas de différence entre Palestiniens et terroristes.

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Il existe une grande différence morale entre Israël et le Hamas. Au moins Israël avertit-il les civils avant de larguer des bombes; le Hamas ne fait rien pour protéger ses propres sujets de ces bombardements et les déploie même pour s'en servir de boucliers humains. Les cibles d'Israël ne sont pas les Palestiniens, même lorsque ses frappes aériennes en tuent (de façon disproportionnée et impardonnable); alors que les dirigeants du Hamas revendiquent que l'objectif du raid du 7 octobre était de tuer le plus de juifs possible et que leur objectif final est de rayer Israël de la carte.

Cependant, si le gouvernement israélien ne dénonce, n'arrête et ne poursuit pas les colons qui ont tué des Palestiniens en Cisjordanie, alors ses responsables ne devront pas feindre la surprise si de nouveaux Palestiniens se radicalisent, si encore plus de gens de toutes parts –ceux qui déjà dénoncent les frappes aériennes d'Israël à Gaza et estiment qu'il s'agit d'une réaction «disproportionnée» à l'attaque du Hamas du 7 octobre– en viennent à considérer Israël (ou au moins, ce gouvernement israélien) comme une entreprise criminelle; en bref, si à tort ou à raison ils établissent des équivalence morales entre Israël et le Hamas.

Netanyahou et son gouvernement ne sont pas très forts pour réfuter cette appréciation. Début novembre, Tzvi Succot a été nommé chef du sous-comité du Parlement israélien chargé de gérer les colonies en Cisjordanie. Tzvi Succot est un éminent activiste pro-colonisation qui, avant d'être élu au Parlement, a été arrêté au moins trois fois pour des violences contre des Palestiniens et dont les opinions sont si radicales que l'armée israélienne l'a rejeté, le considérant «inadapté» au service militaire.

Selon les Nations unies, environ 700.000 colons juifs vivent en Cisjordanie –contre 520.000 il y a dix ans, un chiffre qui ne cesse d'augmenter. Entre janvier et juillet, le gouvernement de droite de Netanyahou a autorisé plus de 13.000 permis de construire de nouvelles maisons dans les colonies.

La violence des colons et des Palestiniens a explosé en Cisjordanie depuis qu'Israël a occupé le territoire après la guerre de 1967, et elle s'est intensifiée pendant tout le mois qui s'est écoulé depuis l'attaque du Hamas. Avant, il y avait en moyenne un incident violent par jour. On en est à sept aujourd'hui.

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Il ne faut pas assimiler les 1.400 Israéliens qui ont été assassinés le 7 octobre et les colons de Cisjordanie. Les villages et les kibboutz où ont eu lieu les attaques du Hamas, près de la frontière avec Gaza, ont été établis longtemps avant 1967 –dans de nombreux cas, avant même la fondation de l'État d'Israël en 1948. Les victimes et leurs familles étaient nées sur cette terre, ce n'était pas des intrus colonialistes.

Beaucoup de commentateurs qui interprètent l'histoire de travers ne font pas non plus cette distinction. Si le gouvernement israélien ne condamne, n'arrête et ne poursuit pas les colons qui ont commis des crimes en Cisjordanie, cette mauvaise interprétation de l'histoire semblera justifiée.

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Israël doit arrêter les colons qui tuent des Palestiniens et le faire savoir

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09.11.2023

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Lors d'une conférence de presse à Tel-Aviv vendredi 3 novembre, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré que les dirigeants israéliens lui avaient assuré qu'ils condamneraient la vague de violence exercée contre les Palestiniens par des colons juifs en Cisjordanie. C'est bien. Mais c'est loin d'être suffisant.

Depuis l'attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas, des colons y ont tué plus de 120 Palestiniens et en ont blessé au moins 2.000. Ils ont expulsé de force plus de 800 Palestiniens de chez eux, fait sauter leurs générateurs et leurs panneaux solaires et brûlé les tentes de bergers bédouins.

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Encore une fois: ceci ne s'est pas produit à Gaza, mais en Cisjordanie, qui est dirigée par l'Autorité palestinienne, pas par le Hamas. Certaines des personnes tuées appartenaient à des groupes d'activistes, mais la plupart ont été attaquées uniquement parce qu'elles étaient palestiniennes. Dans de nombreux cas, elles n'avaient aucun rapport avec l'attaque du Hamas en Israël depuis Gaza.

Le 25 octobre, le président Joe Biden a averti que la vague d'attaques en Cisjordanie mettait «de l'huile sur le feu» des tensions libérées par la guerre, et affirmé: «Cela doit cesser.» Les tueurs «doivent être tenus pour responsables de leurs actes».

Pourtant, les autorités israéliennes n'ont depuis pas dit un mot sur cette violence, pas même après au moins un incident où des colons ont attaqué des soldats israéliens qui essayaient d'interrompre leurs actes criminels.

Blinken s'est rendu à Tel-Aviv le 3 novembre pour répéter que les États-Unis soutenaient le droit d'Israël à se défendre –mais également pour insister,........

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