Temps de lecture: 8 min

Les responsables israéliens envisagent de faire la guerre au Hamas pendant plusieurs mois, sans interruption, malgré de nombreux appels aux cessez-le-feu –ou, d'une certaine façon, à cause d'eux.

Le 29 octobre dernier, lors d'une conférence de presse, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, exposait les «quatre phases» de la guerre. La deuxième («l'activité étendue sur le terrain») –qui a commencé fin octobre et lors de laquelle des troupes et des avions de chasse israéliens se sont rapprochés de la ville de Gaza pour détruire le vaste réseau de tunnels du Hamas et tuer ses chefs– durera «des mois», déclarait-il.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

Lors de la troisième phase, l'armée israélienne a prévu de traquer les «poches de résistance» et de préparer le transfert du contrôle de la bande de Gaza à une entité qui n'est ni le Hamas ni Israël, bien qu'il n'existe pas de plan très clair concernant ce qui pourrait être cette entité. Yoav Gallant décrivait enfin la quatrième phase comme la fin de la «responsabilité [d'Israël] dans le maintien de la vie dans la bande de Gaza» –il n'est pas précisé qui en prendrait la responsabilité ni comment empêcher que d'autres groupes terroristes ou de miliciens ne prennent la place du Hamas.

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a, à plusieurs reprises, rejeté les appels à un cessez-le-feu, affirmant que cela reviendrait à capituler devant le Hamas, dont les attaquants ont tué 1.400 civils israéliens et en ont kidnappé plus de 200 lors de leur raid du 7 octobre. «Il n'y aura aucun cessez-le-feu sans le retour des otages. Il faut complètement retirer cela du vocabulaire», a-t-il réaffirmé devant le personnel de la base militaire aérienne de Ramon, dans le sud d'Israël, dimanche 5 novembre.

Dans une tribune publiée dans le Wall Street Journal le 30 octobre, il avançait par ailleurs que le Hamas représente une menace non seulement pour Israël mais aussi pour toute la civilisation. Il soulignait aussi que les États-Unis n'avaient pas observé de cessez-le-feu après le bombardement de Pearl Harbor en 1941 ou les attaques contre le World Trade Center par al-Qaïda en 2001.

Le président américain Joe Biden, tout en continuant de soutenir le droit d'Israël à se défendre, exhorte, de manière de plus en plus pressante, Benyamin Netanyahou à faire son possible pour minimiser le nombre de victimes civiles et à respecter le droit international (les frappes israéliennes auraient tué au moins 10.022 Palestiniens dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre, selon les autorités sanitaires de la région). Matthew Miller, porte-parole du département d'État américain, a gravement préconisé à Israël, le 30 octobre, de «prendre des mesures pour protéger les Palestiniens de la violence des colons extrémistes» en Cisjordanie et de «tenir pour responsables» les colons et soldats israéliens qui la cautionneraient ou s'abstiendraient d'intervenir.

Depuis l'attaque du Hamas du 7 octobre, colons et soldats israéliens y ont tué au moins 150 Palestiniens, selon l'Autorité palestinienne, sans preuve que ces victimes aient joué le moindre rôle dans l'attaque –la Cisjordanie n'est pas dirigée par le Hamas mais par l'Autorité palestinienne, plus modérée. Un des dangers de ces déchaînements, hormis leur immoralité meurtrière, est qu'ils sont susceptibles de radicaliser de nombreux habitants –et possiblement de hauts responsables de l'Autorité palestinienne–, rendant ainsi encore plus difficile toute sorte de réconciliation entre Israël et les Palestiniens

À LIRE AUSSI

La Cisjordanie, l'autre front de la guerre d'Israël?

Le 18 octobre, les États-Unis ont mis leur veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui condamnait toute violence dans la guerre. Peu après, l'Assemblée générale des Nations unies n'a pas réussi à recueillir la nécessaire majorité des deux tiers pour voter une résolution condamnant le Hamas pour son attaque du 7 octobre et a, à la place, appelé à un cessez-le-feu. Ensemble, les deux votes illustrent comment ce conflit a polarisé le monde, principalement au détriment d'Israël –une dynamique susceptible de s'intensifier en même temps que la guerre.

À LIRE AUSSI

La guerre Israël-Hamas plombe le Parti démocrate à un an de la présidentielle américaine

De nombreux Israéliens sont choqués de constater qu'une si grande partie du monde semble fermer les yeux sur l'attaque terroriste commise par le Hamas voire, dans certains cas, la célèbre comme s'il s'agissait d'un «acte de résistance» contre les occupants israéliens. Ethan Bronner, chef de bureau de Bloomberg News à Jérusalem et ancien correspondant au Moyen-Orient, rapportait, le 25 octobre, que beaucoup d'Israéliens ont réagi à ces protestations en s'arc-boutant sur leurs positions.

Si une grande partie du monde est incapable de condamner le Hamas pour avoir tué plus de juifs en un seul jour qu'à aucun moment depuis la Shoah et s'est empressée d'imputer à Israël le bombardement d'un hôpital de Gaza sur la seule foi d'un rapport du Hamas (alors même qu'il a probablement été frappé, selon l'armée israélienne et les États-Unis, par une roquette égarée lancée par le Jihad islamique), alors peu importe ce que pense le monde –c'est ainsi qu'ils raisonnent. C'est la survie même d'Israël qui est en jeu, Israël doit donc faire le nécessaire.

Et selon le plan de guerre en quatre phases de Yoav Gallant, cela signifie s'assurer que le Hamas ne pourra plus menacer les frontières d'Israël. Fils de rescapés de la Shoah, comme beaucoup d'Israéliens, Yoav Gallant prend très au sérieux l'expression «plus jamais ça».

Pendant les trois semaines qui ont suivi l'attaque du Hamas, Joe Biden, qui soutient Israël depuis longtemps, s'est rangé aux côtés de l'État hébreu tout en dispensant des mises en garde. Le 18 octobre, quand le président américain s'est rendu en Israël (c'était la deuxième fois qu'il allait dans une zone de guerre active, après l'Ukraine), il a assisté à un conseil des ministres (une première) et posé des questions difficiles: quels sont vos projets pour l'après-guerre?; qui va contrôler et reconstruire Gaza?; comment vous assurerez-vous que les prochains dirigeants de l'enclave, quels qu'ils soient, ne représenteront pas, eux aussi, une menace?

Les ministres n'avaient pas de réponses à lui apporter. Joe Biden leur a dit qu'il fallait réfléchir à leurs objectifs post-conflit avant de se lancer dans une guerre totale. Il leur a rappelé que pris de colère, les États-Unis s'étaient jetés à corps perdu en Afghanistan et en Irak après le 11-Septembre, sans le moindre plan à long terme –avec les conséquences catastrophiques que l'on connaît. Il a également exhorté les hauts fonctionnaires à ouvrir des corridors destinés à l'aide humanitaire et à trouver un moyen de récupérer les otages.

À LIRE AUSSI

Guerre Israël-Hamas: pour l'Égypte, ouvrir sa frontière est loin d'être simple

Sous cette pression, Israël a rouvert deux pipelines approvisionnant la bande de Gaza en eau et a rétabli une partie du réseau électrique, ainsi que des connexions internet, brièvement coupées –Tel-Aviv affirme l'avoir fait pour cacher les premiers mouvements de troupes dans la bande de Gaza. Avec l'Égypte (qui bloque la frontière sud avec la bande de Gaza, Israël interdisant l'accès au nord), le pays a également ouvert un corridor pour laisser passer des camions transportant de la nourriture, des médicaments et d'autres provisions, ce qui ne représente pour l'instant qu'une fraction de ce qui est nécessaire aux 2 millions d'habitants de la bande de Gaza –dont les trois quarts ont été déplacés selon l'ONU.

Il est aussi possible que la pression exercée par Joe Biden ait ralenti les projets israéliens d'une invasion totale; qu'elle ait convaincu une partie du cabinet de guerre de réfléchir à deux fois à ses objectifs avant de se lâcher bille en tête.

Joe Biden, le secrétaire d'État Antony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan sont aussi engagés dans une conversation quasi ininterrompue avec des dirigeants du Moyen-Orient –soit directement, soit par le biais d'intermédiaires extrêmement bien rodés–, visant à éviter que la guerre ne se répande et, d'une manière ou d'une autre, à libérer les otages.

D'après les services de renseignement américains, l'Iran aurait affirmé préférer ne pas provoquer une guerre avec Israël ou les États-Unis, mais que si les bombardements sur la bande de Gaza persistaient, le pays ne pourrait peut-être pas s'abstenir de réagir. [Lors d'une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre irakien Mohamed Chia al-Soudani ce lundi 6 novembre, le président iranien Ebrahim Raïssi a accusé les États-Unis d'«encourager» Israël à «tuer et à perpétrer des actes cruels» contre les Palestiniens. «[Avec Mohamed Chia al-Soudani], nous pensons que les bombardements doivent cesser dès que possible, qu'un cessez-le-feu doit être décrété immédiatement et que l'aide doit être apportée au peuple opprimé et fier de Gaza», a-t-il déclaré, ndlr]

Le Hamas continue de lancer des roquettes sur Israël. Au nord, le Hezbollah en fait autant depuis le Liban. Israël riposte dans les deux cas (l'Iran soutient le Hamas et le Hezbollah, et leur fournit des armes depuis longtemps). Pour l'instant, les attaques du Hezbollah ont fait peu de dégâts. Elles semblent être conçues pour signaler un soutien au Hamas sans trop s'impliquer dans la guerre. Mais l'escalade est un phénomène glissant. Le signe de soutien d'un camp peut être interprété par l'autre comme une menace existentielle. On a déjà vu de petits conflits dégénérer en grandes guerres à cause de ce type de mauvais calculs.

À LIRE AUSSI

D'une guerre à l'autre: le sud du Liban de nouveau en première ligne

Le Qatar, qui approvisionne le Hamas depuis des années mais qui est également considéré comme un «allié majeur hors OTAN» par les États-Unis, tente de négocier la libération des otages –sans grands succès jusqu'à présent. Fin octobre, le Hamas avait publiquement proposé un échange «tous contre tous», affirmant que «le prix à payer pour le grand nombre d'otages de l'ennemi qui sont entre [ses] mains est de vider les prisons de tous les détenus [palestiniens]». Il s'agit d'environ 10.000 prisonniers, dont la moitié ont été arrêtés depuis l'attaque du 7 octobre.

D'un point de vue numérique, un tel échange serait sans précédent. En 2011, Israël a échangé 1.000 prisonniers palestiniens contre un soldat de Tsahal, Gilad Shalit, capturé à la frontière de Gaza cinq ans auparavant. Certains membres des familles des otages actuels ont exhorté Benyamin Netanyahou à consentir à cet échange. Mais Yoav Gallant a affirmé que la proposition était «bidon».

Il a également estimé que grâce à la présence des troupes israéliennes dans la bande de Gaza, Israël disposait de renseignements sur la localisation de nombreux otages et que Tsahal avait prouvé qu'il pouvait les libérer au cours de raids armés. Pour l'instant cependant, seule une otage, une soldate appelée Ori Megidish, a été libérée de cette manière et quatre civils par le biais de négociations.

QOSHE - Israël se prépare à des mois de guerre dans la bande de Gaza - Fred Kaplan
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Israël se prépare à des mois de guerre dans la bande de Gaza

8 0
07.11.2023

Temps de lecture: 8 min

Les responsables israéliens envisagent de faire la guerre au Hamas pendant plusieurs mois, sans interruption, malgré de nombreux appels aux cessez-le-feu –ou, d'une certaine façon, à cause d'eux.

Le 29 octobre dernier, lors d'une conférence de presse, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, exposait les «quatre phases» de la guerre. La deuxième («l'activité étendue sur le terrain») –qui a commencé fin octobre et lors de laquelle des troupes et des avions de chasse israéliens se sont rapprochés de la ville de Gaza pour détruire le vaste réseau de tunnels du Hamas et tuer ses chefs– durera «des mois», déclarait-il.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

Lors de la troisième phase, l'armée israélienne a prévu de traquer les «poches de résistance» et de préparer le transfert du contrôle de la bande de Gaza à une entité qui n'est ni le Hamas ni Israël, bien qu'il n'existe pas de plan très clair concernant ce qui pourrait être cette entité. Yoav Gallant décrivait enfin la quatrième phase comme la fin de la «responsabilité [d'Israël] dans le maintien de la vie dans la bande de Gaza» –il n'est pas précisé qui en prendrait la responsabilité ni comment empêcher que d'autres groupes terroristes ou de miliciens ne prennent la place du Hamas.

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a, à plusieurs reprises, rejeté les appels à un cessez-le-feu, affirmant que cela reviendrait à capituler devant le Hamas, dont les attaquants ont tué 1.400 civils israéliens et en ont kidnappé plus de 200 lors de leur raid du 7 octobre. «Il n'y aura aucun cessez-le-feu sans le retour des otages. Il faut complètement retirer cela du vocabulaire», a-t-il réaffirmé devant le personnel de la base militaire aérienne de Ramon, dans le sud d'Israël, dimanche 5 novembre.

Dans une tribune publiée dans le Wall Street Journal le 30 octobre, il avançait par ailleurs que le Hamas représente une menace non seulement pour Israël mais aussi pour toute la civilisation. Il soulignait aussi que les États-Unis n'avaient pas observé de cessez-le-feu après le bombardement de Pearl Harbor en 1941 ou les attaques contre le World Trade Center par al-Qaïda en 2001.

Le président américain Joe Biden, tout en continuant de soutenir le droit d'Israël à se défendre, exhorte, de manière de plus en plus pressante, Benyamin Netanyahou à faire son possible pour minimiser le nombre de victimes civiles et à respecter le droit international (les frappes israéliennes auraient tué au moins 10.022 Palestiniens dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre, selon les autorités sanitaires de la région). Matthew Miller, porte-parole du département d'État américain, a gravement préconisé à........

© Slate


Get it on Google Play