Temps de lecture: 6 min

Une nouvelle enquête révèle que depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas il y a plus de dix semaines, les Palestiniens sont plus nombreux à soutenir le Hamas en Cisjordanie. Ces chiffres laissent entendre que l'objectif affiché de l'invasion et du bombardement de la bande de Gaza, c'est-à-dire la destruction du Hamas en tant que force militaire et politique, afin qu'il ne puisse plus jamais menacer Israël comme il l'a fait le 7 octobre, jour où il a assassiné environ 1.200 personnes, pourrait être impossible à atteindre.

Et même si de nombreux chefs de guerre et combattants sont tués, la mort et la destruction infligées par les armées de terre et de l'air israéliennes pourraient bien, à terme, renforcer le Hamas.

À ce jour, près de 20.000 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza au cours de cette guerre, à en croire le ministère de la Santé du Hamas (ce chiffre inclut un nombre inconnu de combattants). Et presque 1,9 million de civils ont été déplacés, soit plus de 80% de la population de l'enclave, selon l'UNRWA, l'agence de l'ONU qui vient en aide aux réfugiés palestiniens.

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Selon cette enquête publiée mercredi 13 décembre, le soutien au Hamas (en tant que parti politique) parmi les Palestiniens de Gaza a augmenté depuis septembre 2023, passant de 38% à 42%. Chez les Palestiniens de Cisjordanie, il a bondi de 12% à 44% en trois mois. Mené auprès de 1.231 adultes palestiniens, ce sondage a été conduit par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, groupe de réflexion palestinien établi à Ramallah (Cisjordanie), entre le 22 novembre et le 2 décembre 2023 (et il aurait une marge d'erreur de 4%).

Les Israéliens peuvent se rassurer en se disant que moins de la moitié des Palestiniens de ces territoires soutiennent le Hamas –et que ce soutien a à peine augmenté à Gaza, aux mains du Hamas. De fait, ces chiffres donnent une certaine crédibilité aux déclarations anecdotiques de nombreux Gazaouis qui imputent autant la situation critique dans laquelle ils se trouvent au Hamas qu'à Israël. Les sondeurs ajoutent: «Il vaut la peine de noter qu'en règle générale, le soutien au Hamas augmente pendant ou immédiatement après une guerre, puis retrouve son niveau antérieur plusieurs mois après la fin de la guerre.»

Quand bien même, l'augmentation brutale du sentiment pro-Hamas en Cisjordanie est alarmante. Le Hamas n'a pas de statut officiel dans cette zone; les Palestiniens y sont relativement modérés. Le Fatah, parti politique qui constitue la force dominante de l'Autorité palestinienne, qui y a son siège (à Ramallah), reconnaît depuis longtemps le droit à l'existence d'Israël.

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Le nouveau sondage laisse entendre qu'il sera bien plus difficile de parvenir à un accord de paix. Le dirigeant du Fatah, Mahmoud Abbas, est largement considéré comme décrépit, corrompu et inefficace –en décembre, 92% des habitants de Cisjordanie interrogés souhaiteraient qu'il démissionne (une hausse de quatorze points depuis septembre).

L'augmentation du soutien à l'approche plus violente du Hamas pourrait être une réaction à l'impressionnante flambée des violences (meurtres, passages à tabac et incendies de propriétés privées), commises ces dernières semaines par des colons juifs contre des Palestiniens installés de longue date.

Le président américain Joe Biden a récemment opposé une interdiction de visas à l'encontre de certains de ces colons violents, mais Benyamin Netanyahou n'a rien fait. Le ministre ultranationaliste de la Sécurité nationale d'Israël, Itamar Ben-Gvir, qui supervise la police israélienne en Cisjordanie, a même distribué des fusils aux volontaires des zones frontalières, donc certainement à des colons extrémistes (certaines de ces armes venaient peut-être des États-Unis, ce qui explique pourquoi Joe Biden a interrompu la dernière livraison en cours).

La guerre, qui a déclenché des protestations massives dans le monde entier, met les relations entre les États-Unis et Israël à rude épreuve. Cette tension se ressent même parmi les soutiens généralement solides de l'État hébreu. Le président Joe Biden, tout en réaffirmant le droit à l'autodéfense d'Israël, a exhorté de nombreuses fois le Premier ministre Benyamin Netanyahou à réduire le nombre de victimes civiles.

Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, qui s'est rendu jeudi 14 décembre à Jérusalem, a dit au ministre de la Défense israélien Yoav Gallant qu'il fallait qu'Israël achève la phase de guerre de «haute intensité» en quelques semaines. Ce à quoi Yoav Gallant a répliqué qu'il faudrait «plus que quelques mois» pour battre le Hamas. Antony Blinken, le secrétaire d'État américain, a sous-entendu aux responsables israéliens le 30 novembre que le soutien international, qui faiblit déjà, pourrait bien ne pas durer des mois.

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Le podcast Le monde devant soi – Pourquoi les États-Unis ont mis Benyamin Netanyahou sous pression

Lors de ce qui est peut-être l'indicateur de tension le plus surprenant entre les deux pays, le député démocrate Steve Cohen, législateur juif et éminent soutien d'Israël très proche de Joe Biden, a publié ceci sur X (anciennement Twitter), le jeudi 14 décembre: «Benyamin Netanyahou est allé beaucoup trop loin. [...] Les bombardements doivent être extrêmement réduits, faute de quoi Israël va perdre son dernier véritable ami, les États-Unis et Joe Biden. Le président n'en peut plus de la guerre de Bibi à la Poutine, où tous les coups sont permis.»

Netanyahu has gone way too far and Jake Sullivan will be informing him that the bombing must be greatly limited or Israel will be without its last real friend, the USA &Joe Biden.The President is finished with Bibi’s Putin-like no holds barred war.Hostages first! Civilians never

Pour le moment, en tout cas, les dirigeants israéliens semblent faire fi de cette pression. Peut-être ne la prennent-ils pas au sérieux. À part interrompre la livraison de 20.000 fusils d'assaut M16, Joe Biden n'a rien fait pour juguler le flux d'armes de plus grande envergure à destination d'Israël. Il n'a pas non plus révisé à la baisse l'aide militaire d'une valeur d'environ 14 milliards de dollars qu'il a requise dans le dernier projet d'aide pour l'heure invalidé par le Congrès, en plus des quelque 61 milliards de dollars sous diverses forme d'aide à l'Ukraine.

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Dans une déclaration publiée après la rencontre avec Jake Sullivan le 14 décembre à Jérusalem, Benyamin Netanyahou a dit qu'Israël continuerait à se battre «jusqu'à la victoire et jusqu'à ce que soient atteints les objectifs communs, qui sont avant toute chose l'élimination du Hamas, la libération de tous les otages, le démantèlement des capacités militaires du Hamas et la fin de son règne à Gaza».

Personne, et surtout pas Benyamin Netanyahou, n'a expliqué comment Israël pouvait atteindre tous ces objectifs sans tuer encore des dizaines de milliers de civils palestiniens –ni comment ces objectifs pouvaient être atteints tout court.

Joe Biden prône une solution à deux États et espère qu'une Autorité palestinienne ravivée pourra gouverner sur Gaza après l'expulsion du Hamas. Benyamin Netanyahou ne veut pas d'une solution à deux États et il ne veut pas céder la sécurité de Gaza aux Palestiniens. C'est une des raisons de son insistance à poursuivre, voire à intensifier la guerre. Et cela aggrave les tensions, voire menace de conduire à une rupture entre Israël et les États-Unis.

Lors d'une rencontre privée le 14 décembre au soir, Joe Biden a dit que les membres d'ultradroite du gouvernement de Benyamin Netanyahou devaient partir. Mais lorsqu'on en vient aux objectifs de la guerre à Gaza, l'écart entre Benyamin Netanyahou et les deux membres centristes de son cabinet de guerre ayant un droit de vote (le ministre de la Défense Yoav Gallant et l'ancien vice-Premier ministre Benny Gantz) semble bien mince.

Benyamin Netanyahou est presque assuré de perdre le pouvoir lors des prochaines élections, quelle qu'en soit la date –mais même s'il devait quitter le pouvoir aujourd'hui, la politique de la guerre d'Israël ne changerait probablement pas beaucoup.

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Alors que va-t-il se passer maintenant? Si Israël maintient la phase de «haute intensité» de la guerre non pas pour quelques semaines, comme l'a demandé l'administration de Joe Biden, mais pendant «plusieurs mois», comme insiste Yoav Gallant, que va faire Joe Biden, s'il fait quelque chose?

Et qu'arrivera-t-il aux 129 otages présumés vivants qui restent à Gaza, dont certains sont peut-être dans les tunnels du Hamas que les soldats de Tsahal commencent à inonder avec de l'eau de mer? Certains Israéliens, surtout les familles des otages, exhortent Benyamin Netanyahou à tout faire pour obtenir leur libération, peu importent les compromis nécessaires dans la guerre. La politique à l'intérieur d'Israël arrive elle aussi à un point de rupture.

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La guerre à Gaza est-elle en train de renforcer le soutien au Hamas?

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21.12.2023

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Une nouvelle enquête révèle que depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas il y a plus de dix semaines, les Palestiniens sont plus nombreux à soutenir le Hamas en Cisjordanie. Ces chiffres laissent entendre que l'objectif affiché de l'invasion et du bombardement de la bande de Gaza, c'est-à-dire la destruction du Hamas en tant que force militaire et politique, afin qu'il ne puisse plus jamais menacer Israël comme il l'a fait le 7 octobre, jour où il a assassiné environ 1.200 personnes, pourrait être impossible à atteindre.

Et même si de nombreux chefs de guerre et combattants sont tués, la mort et la destruction infligées par les armées de terre et de l'air israéliennes pourraient bien, à terme, renforcer le Hamas.

À ce jour, près de 20.000 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza au cours de cette guerre, à en croire le ministère de la Santé du Hamas (ce chiffre inclut un nombre inconnu de combattants). Et presque 1,9 million de civils ont été déplacés, soit plus de 80% de la population de l'enclave, selon l'UNRWA, l'agence de l'ONU qui vient en aide aux réfugiés palestiniens.

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Selon cette enquête publiée mercredi 13 décembre, le soutien au Hamas (en tant que parti politique) parmi les Palestiniens de Gaza a augmenté depuis septembre 2023, passant de 38% à 42%. Chez les Palestiniens de Cisjordanie, il a bondi de 12% à 44% en trois mois. Mené auprès de 1.231 adultes palestiniens, ce sondage a été conduit par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, groupe de réflexion palestinien établi à Ramallah (Cisjordanie), entre le 22 novembre et le 2 décembre 2023 (et il aurait une marge d'erreur de 4%).

Les Israéliens peuvent se rassurer en se disant que moins de la moitié des Palestiniens de ces territoires soutiennent le Hamas –et que ce soutien a à peine augmenté à Gaza, aux mains du Hamas. De fait, ces chiffres donnent une certaine crédibilité aux déclarations anecdotiques de nombreux Gazaouis qui imputent autant la situation critique dans laquelle ils se trouvent au Hamas qu'à Israël. Les sondeurs ajoutent: «Il vaut la peine de noter qu'en règle générale, le soutien au Hamas augmente pendant ou immédiatement après une guerre,........

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