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Si la Bible n'a pas une vocation d'ouvrage historique, il n'en reste pas moins que certains épisodes qu'elle raconte interrogent. Parmi eux, les dix plaies d'Égypte narrées dans le Livre de l'Exode, dans l'Ancien Testament. Face à Pharaon qui refuse de libérer les Hébreux de l'esclavage, leur dieu Yahvé inflige dix châtiments divins à l'Égypte.

D'abord, les eaux du Nil se changent en sang. Puis les grenouilles envahissent le pays. La poussière se transforme ensuite en des nuées de moustiques et de poux, avant que la vermine (des mouches ou des taons) n'envahisse les maisons des Égyptiens. La cinquième plaie concerne les animaux et les troupeaux, décimés par une peste. Après quoi des furoncles touchent le peuple égyptien et son bétail. Le septième fléau est un orage de grêle qui détruit les récoltes. Il est suivi par une invasion de sauterelles qui dévorent les champs restants. Face à l'inflexibilité de Pharaon, les plaies se poursuivent avec des ténèbres qui recouvrent le pays pendant trois jours. Enfin, tous les premiers-nés décèdent, y compris le fils de Pharaon, qui consent finalement à libérer le peuple juif.

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Tous ces événements relatés par la Bible sont longtemps restés un mystère aux yeux des scientifiques. Le récit religieux, souvent considéré comme fictionnel, serait-il également un vestige historique? Géologues, archéologues ou historiens se sont penchés sur les catastrophes naturelles rapportées par le texte sacré, pour tenter d'y trouver une explication rationnelle et d'y apporter des théories crédibles.

Parmi ces théories, l'une des principales réside dans une catastrophe antique, celle de l'île de Santorin, anciennement île de Théra, au milieu de la mer Égée (Grèce). Entre 1600 et 1525 avant J.-C., une gigantesque éruption volcanique –appelée éruption minoenne– balaie l'archipel et bouleverse l'ensemble de la planète. Les conséquences de l'explosion, de la puissance d'une quarantaine de bombes atomiques, s'étalent sur tout le pourtour méditerranéen et sont ressenties jusqu'au Groenland.

Il semble ainsi évident que l'Égypte, située à quelque 800 kilomètres de là, ait été touchée de plein fouet par le cataclysme. «Chacune de ces calamités peut être la conséquence de l'éruption d'un volcan. Et concernant les dix plaies d'Égypte, nous savons même très bien quelle éruption en est responsable: celle de l'île grecque de Santorin», déduit Gilles Lericolais, géologue marin, géophysicien et l'un des défenseurs de cette théorie, interrogé dans un article de Science & Vie paru en février 2018.

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«En théorie, il est tout à fait possible que l'éruption de Théra ait eu un impact sur le climat global avec toute une série de conséquences locales. En Égypte, elle a pu entraîner des phénomènes climatiques inhabituels», confirme David Pyle, volcanologue à l'université d'Oxford, dans le documentaire britannique Les dix plaies d'Égypte, réalisé par Andra Heritage et diffusé en 2017 sur France 5.

Cette violente catastrophe, probablement l'événement géologique le plus ancien dont l'humanité aurait gardé le souvenir, pourrait-elle avoir inspiré le récit biblique? Ce qui est certain, c'est que les cendres du Santorin ont atteint le delta du Nil. Des relevés stratigraphiques le prouvent. Des téphras –des fragments solides de roches ou de cendres expulsés pendant une éruption– auraient ainsi été déplacés jusque là, provoquant peut-être le début des dix plaies d'Égypte.

En 1996, l'épidémiologiste américain John S. Marr semble avoir été le premier à évoquer une théorie des dominos pour expliquer, dans l'ordre, chacune des dix plaies. Des scientifiques lui ont ensuite emboîté le pas, en utilisant en particulier l'éruption du Santorin comme point de départ de toutes ces catastrophes. Ainsi, chaque plaie semble se lire comme la conséquence des précédentes. Après l'explosion volcanique, le nuage toxique s'est déplacé, entraînant des répercussions en Égypte.

Gilles Lericolais évoque par exemple «les réactions des pluies acides sur les argiles favorisant le lessivage et l'augmentation du fer dans les eaux du Nil», conférant au fleuve une teinte carmin. Le premier fléau de l'Exode, un Nil qui se change en sang, peut donc s'expliquer de la sorte. Certains chercheurs évoquent également la prolifération d'algues rouges dans le plus long fleuve d'Afrique, du fait du changement de conditions climatiques induit par l'éruption, ou encore le déplacement de particules volcaniques d'aspect rosé.

Empoisonné par les cendres, le Nil devient acide. De ce fait, les batraciens du fleuve s'enfuient et envahissent en masse les terres. C'est la deuxième plaie. Intoxiquées et déshydratées, les grenouilles décèdent, provoquant ainsi les troisième et quatrième fléaux, ceux impliquant les insectes. Débarrassés de leur principal prédateur et attirés par les cadavres, ils pullulent, probablement encouragés par les fortes pluies engendrées par le bouleversement climatique en cours.

Les cinquième et sixième plaies seraient la conséquence de ces invasions. En effet, les moustiques, poux, mouches ou taons infectent le bétail et la population, en répandant une épidémie de peste et l'apparition de pustules. Dans une étude publiée en 1996 dans le magazine scientifique Caduceus, les épidémiologistes John Marr et Curtis Malloy ont émis l'hypothèse de la prolifération d'un moucheron (du genre culicoïdes) porteur d'agents pathogènes et véhiculant des maladies virales.

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Ces premières plaies, attribuées à la colère divine, semblent ainsi s'être produites dans une réaction en chaîne que les scientifiques ont minutieusement justifiée à l'aide d'hypothèses plausibles. Selon eux, les trois fléaux suivants sont d'ailleurs tout autant explicables par l'éruption du Santorin.

La grêle, les nuées de sauterelles et les ténèbres peuvent ainsi trouver leur origine dans la météo instable induite par la catastrophe. L'épais nuage de cendres volcaniques a pu provoquer des orages de grêle et des pluies diluviennes favorisant une invasion de sauterelles. Il aurait également assombri le ciel au point de faire tomber l'obscurité sur l'Égypte. À moins que des tempêtes de sable, fréquentes dans le pays, n'expliquent cette avant-dernière plaie.

La Septième Plaie d'Égypte (représentant la grêle), huile sur toile du peintre et graveur britannique John Martin, peinte en 1823 et conservée au Musée des Beaux-Arts de Boston (Massachusetts). | via Wikimedia Commons

Le dixième fléau est le plus difficile à élucider. De nombreuses théories existent, mais l'une des hypothèses retenues par les partisans de la thèse de l'éruption est celle d'une intoxication alimentaire. Les conditions météorologiques et l'humidité auraient entraîné la contamination des réserves de céréales, obligatoirement consommées en cette période de famine.

«Dans la culture égyptienne, l'aîné d'une fratrie avait toujours la priorité, rappelle l'égyptologue britannique Christopher Naunton dans le documentaire Les dix plaies d'Égypte. Les premiers-nés ont donc dû être les premiers à manger et, s'il n'y avait pas assez de nourriture pour tout le monde, ils ont peut-être été les seuls à manger. Ils sont donc morts en premier et en plus grand nombre.»

Toutes ces déductions restent des interprétations faites par les scientifiques pour analyser d'un œil nouveau le récit de la Bible. Pourtant, des preuves de catastrophes naturelles similaires aux événements narrés dans le texte religieux existent, non pas reconstruites a posteriori par les chercheurs, mais datant de l'époque même où elles eurent lieu. Une stèle retrouvée après la Seconde Guerre mondiale dans le temple de Karnak, à Louxor, illustre un potentiel ouragan cataclysmique.

«La stèle parle de fureur, mais ce n'est pas celle des soldats ou des chefs de guerre, elle évoque une tempête bien réelle», décrit l'égyptologue américain Robert K. Ritner dans Les dix plaies d'Égypte, rejoint par sa collègue archéologue Nadine Moeller. «On a un orage violent avec de fortes pluies, beaucoup de dégâts et de morts, il y a des ténèbres et l'obscurité se fait dans le pays», ajoute-t-elle en rapprochant ces épisodes de ceux racontés dans l'Ancien Testament. Cette stèle serait datée de la même époque que l'éruption du mont Santorin, entre 1550 et 1500 avant J.-C.

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Par ailleurs, des papyrus médicaux sans velléité religieuse font mention de faits très proches de ceux relatés dans la Bible. Il est question «de brûlures causées par des eaux rouges et laissant des traces blanches, ce qui est caractéristique des brûlures à l'acide sulfurique», note Siro Igino Trevisanato, docteur en biologie moléculaire, auteur de l'ouvrage Les plaies d'Égypte et fervent défenseur de la théorie volcanique pour expliquer les fléaux égyptiens recensés dans le Livre de l'Exode.

Les dates de ces papyrus ne concordent pourtant pas toutes avec la date supposée de l'éruption volcanique (entre 1600 et 1525 avant J.-C.). En réalité, de nombreuses contradictions viennent fissurer la thèse d'un récit biblique véridique. D'abord, s'il y a des preuves que l'éruption du Santorin a atteint l'Égypte, il n'en reste pas moins que les conséquences supposées par les scientifiques restent invérifiables.

Par exemple, la dernière des plaies concernant la mort des premiers-nés est une pure théorie. Plausible, certes, mais spéculative. Aucun cimetière antique n'est venu confirmer cette thèse. «C'est comme les histoires de pêche: chaque fois qu'on les raconte, le poisson devient plus gros, résume la géologue Barbara J. Sivertsen dans le documentaire Les dix plaies d'Égypte. Peut-être que quelques familles ont perdu leur aîné. Au fil des générations, le récit s'est amplifié et on a fini par dire que tous les Égyptiens avaient perdu leur premier-né.» La chercheuse rappelle d'ailleurs l'importance de la tradition orale, transmise de génération en génération et déformant peu à peu les faits.

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Peut-être une catastrophe gigantesque a-t-elle existé et marqué les peuples à travers les siècles, influençant ainsi en partie le récit biblique. Mais les saintes écritures se sont probablement construites au fil du temps, modifiées par les différents rédacteurs et transformées au fur et à mesure en fable divine. «Certains textes sacrés sont sans doute basés sur des événements réels. Interprétés comme d'origine divine, parfois compris comme des “punitions” du Dieu, ils sont racontés dans des récits où le merveilleux et le miraculeux ont la règle», récapitule Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions français, dans un article des Cahiers de Science & Vie paru en septembre 2015.

Il sera probablement impossible d'affirmer catégoriquement que les dix plaies d'Égypte ont existé. «Quand on associe les sources historiques et les données scientifiques, on peut expliquer ces événements par des phénomènes naturels. Mais attention, on ne dit pas pour autant que ce sont des faits certains et avérés», conclut Christopher Naunton dans le documentaire télévisuel susnommé. Le mystère de la Bible reste donc entier.

QOSHE - Les dix plaies d'Égypte ont-elles vraiment existé? - Juliette Baëza
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Les dix plaies d'Égypte ont-elles vraiment existé?

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30.11.2023

Temps de lecture: 8 min

Si la Bible n'a pas une vocation d'ouvrage historique, il n'en reste pas moins que certains épisodes qu'elle raconte interrogent. Parmi eux, les dix plaies d'Égypte narrées dans le Livre de l'Exode, dans l'Ancien Testament. Face à Pharaon qui refuse de libérer les Hébreux de l'esclavage, leur dieu Yahvé inflige dix châtiments divins à l'Égypte.

D'abord, les eaux du Nil se changent en sang. Puis les grenouilles envahissent le pays. La poussière se transforme ensuite en des nuées de moustiques et de poux, avant que la vermine (des mouches ou des taons) n'envahisse les maisons des Égyptiens. La cinquième plaie concerne les animaux et les troupeaux, décimés par une peste. Après quoi des furoncles touchent le peuple égyptien et son bétail. Le septième fléau est un orage de grêle qui détruit les récoltes. Il est suivi par une invasion de sauterelles qui dévorent les champs restants. Face à l'inflexibilité de Pharaon, les plaies se poursuivent avec des ténèbres qui recouvrent le pays pendant trois jours. Enfin, tous les premiers-nés décèdent, y compris le fils de Pharaon, qui consent finalement à libérer le peuple juif.

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Parmi ces théories, l'une des principales réside dans une catastrophe antique, celle de l'île de Santorin, anciennement île de Théra, au milieu de la mer Égée (Grèce). Entre 1600 et 1525 avant J.-C., une gigantesque éruption volcanique –appelée éruption minoenne– balaie l'archipel et bouleverse l'ensemble de la planète. Les conséquences de l'explosion, de la puissance d'une quarantaine de bombes atomiques, s'étalent sur tout le pourtour méditerranéen et sont ressenties jusqu'au Groenland.

Il semble ainsi évident que l'Égypte, située à quelque 800 kilomètres de là, ait été touchée de plein fouet par le cataclysme. «Chacune de ces calamités peut être la conséquence de l'éruption d'un volcan. Et concernant les dix plaies d'Égypte, nous savons même très bien quelle éruption en est responsable: celle de l'île grecque de Santorin», déduit Gilles Lericolais, géologue marin, géophysicien et l'un des défenseurs de cette théorie, interrogé dans un article de Science & Vie paru en février 2018.

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