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Chaque année en France, quelque 3.000 cancers testiculaires sont diagnostiqués. Les pronostics sont en général plutôt bons, mais ces cancers ont la particularité de plutôt affecter des personnes jeunes (entre 20 et 35 ans). Or, si l'annonce d'une telle maladie est toujours «une crise majeure dans l'histoire de vie», comme le signale Audrey Lesieur, psychologue clinicienne et vice-présidente de la Société française et francophone de psycho-oncologie, celle d'un cancer du testicule est «un véritable tsunami pour des hommes jeunes, en pleine santé, qui ne connaissent pas la maladie», expose le docteur Johann Barkatz, chirurgien-urologue au CHU de Besançon.

Mathieu, 47 ans aujourd'hui, se souvient de ce jour de 1997 où le diagnostic est tombé. «J'avais 20 ans. Je n'avais aucune idée de quoi il s'agissait, je ne savais même pas que cette maladie existait. J'ai vécu l'annonce comme quelque chose d'une grande brutalité. C'était aussi la période où je découvrais ma sexualité et ce cancer a joué un immense rôle dans la manière dont celle-ci s'est construite.» De son côté, Pierre, 50 ans, se rappelle l'onde de choc relationnelle provoquée par la maladie: «J'ai reçu le diagnostic à 27 ans. Je vivais alors maritalement avec ma copine. Elle m'a quitté au tout début des traitements, car elle pensait que je ne pourrais pas avoir d'enfants. Entre cette rupture, le cancer et les traitements, j'ai éprouvé une énorme perte de confiance en moi et en mon corps qui a rendu ma vie affective particulièrement compliquée pendant un moment.»

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En effet, que la fonction sexuelle soit affectée ou non dans le sens biomédical du terme, les conséquences sur la vie affective et la sexualité sont souvent lourdes et durables, c'est-à-dire bien après l'arrêt des traitements (durant lesquels la libido est quasiment inexistante). «Sur le moment, la sexualité passe après. Après le stress, la fatigue, les effets indésirables, les modifications de l'image corporelle. Mais c'est une question qui se repose dès la rémission», note Johann Barkatz.

Pour comprendre cette distinction entre fonction sexuelle et sexualité dans le cadre d'un cancer testiculaire, il faut parler des traitements et de leurs effets sur le corps. Commençons par l'orchidectomie, qui est le premier acte thérapeutique. Il s'agit, par une incision au niveau de l'aine, de retirer dans son intégralité le testicule porteur de la tumeur, ainsi que le cordon spermatique –le conduit qui relie l'abdomen aux testicules et qui contient le canal déférent (qui transporte le sperme des testicules à l'urètre)–, des vaisseaux sanguins, des vaisseaux lymphatiques et des nerfs. La plupart du temps, la pose d'une prothèse est réalisée, soit dans la foulée, soit après une chimiothérapie lorsque celle-ci s'impose.

Cette dernière peut, quant à elle, provoquer, du fait de sa neurotoxicité, des problèmes d'érection qui se dissipent généralement avec le temps, mais pas de manière systématique. Elle peut aussi causer une infertilité. C'est pourquoi les patients sont invités à faire congeler leurs gamètes, afin de les préserver. Enfin, il peut arriver qu'un curage ganglionnaire soit nécessaire. Celui-ci peut induire une anéjaculation, c'est-à-dire une absence d'éjaculation, qui «n'empêche pas pour autant d'avoir un orgasme», précise Johann Barkatz.

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Revenons à l'orchidectomie. Lorsqu'elle est pratiquée sur un seul testicule, cette chirurgie n'entrave pas la fonction sexuelle, dans le sens où elle n'empêche pas physiquement, mécaniquement, d'avoir une érection et de la maintenir de manière satisfaisante, d'éjaculer et d'avoir un orgasme. «Je n'ai jamais eu de panne, sauf une seule fois, mais elle était, je le sais, complètement psychologique, puisque c'était un moment où ma copine et moi voulions faire l'amour sur la plage», témoigne d'ailleurs Pierre, qui déplore simplement une petite tendance à la précocité –«J'ai tellement envie que ça marche que ça marche parfois un peu trop vite. C'est complètement psychologique.»

Mais l'ablation du testicule constitue, comme le souligne Johann Barkatz, «une atteinte à l'intégrité physique, à la virilité et potentiellement à la fertilité». Pierre confie ainsi avoir «vécu cette intervention comme une amputation». Pendant des années, il a «continué de sentir le testicule manquant». De son côté, Mathieu dit s'être posé cette question: «Est-ce qu'avoir un testicule en moins fait toujours de moi quelqu'un de viril?» «L'orchidectomie peut induire des difficultés relationnelles et sexuelles, une inhibition, des doutes quant aux capacités de séduction ou encore la crainte de ne plus pouvoir satisfaire son ou sa partenaire», pointe Audrey Lesieur.

Mathieu suppose que «les choses auraient sans doute été très différentes si [s]a compagne de l'époque ne [l]'avait pas quitté». «Passé le moment de la cicatrisation, qui m'a semblé très long, j'ai mis beaucoup de temps à retrouver une vie sexuelle, raconte-t-il. J'ai d'abord enchaîné les histoires d'un soir, car il me semblait impossible d'avoir une relation stable avec quelqu'un. Ce n'était pas un papillonnage joyeux: chaque “aventure” était une immense épreuve. Je me demandais comment elle allait réagir, s'il fallait lui dire avant, pendant, après…» Aujourd'hui comme à l'époque, il refuse par ailleurs que l'on touche sa prothèse. «Il peut exister une projection sur l'autre de la manière dont la personne appréhende son propre corps. Elle peut alors imaginer que son ou sa partenaire ne voit que le testicule manquant ou la prothèse», analyse Audrey Lesieur.

Pierre aussi a, dans un premier temps, multiplié les partenaires, de manière peut-être un peu plus joyeuse mais pas pleinement satisfaisante: «J'ai eu cinq années, disons, “agitées” sur le plan sexuel. Je me disais que j'étais passé à travers cette épreuve, que tout le reste était du bonus. J'ai fait la fête, j'ai papillonné pour conjurer le stress de la récidive. Mais je n'étais pas bien sur le plan affectif.» Il se souvient aussi de l'attitude de certaines de ses amantes d'un soir: «Certaines voulaient simplement voir à quoi ressemblait une prothèse testiculaire.» Une objectification qui n'a pas franchement aidé le jeune homme qu'il était à retrouver sa confiance en lui.

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Pour Audrey Lesieur, ces récits racontent plutôt une fuite en avant, qui vise à se rassurer quant à ses capacités sexuelles. Mais elle ne permet pas de se rassurer quant à ses capacités affectives et peut de surcroît mettre une pression supplémentaire à chaque expérience. «On ne sait jamais, on se pose tout le temps la question “Est-ce que je vais être capable?”», explique ainsi Mathieu.

Pierre nous dit que «c'est dans les relations plus longues que l'on parvient progressivement à se rassurer, à reprendre confiance en soi». Mais même après vingt-trois ans, des relations autrement plus durables et une fille, le jeune quinqua estime que «toute [s]a vie a été influencée par cet événement». Mathieu pose, quant à lui, un constat amer: «Je ne sais pas ce qu'est une vie sexuelle “normale”. Aujourd'hui, alors que je dois aborder ces questions avec mon fils, je ne sais quoi lui dire.»

«L'expérience du cancer ne s'arrête pas une fois les traitements terminés et la rémission actée. C'est une empreinte qui reste des années», signale Audrey Lesieur, qui invite les proches à prendre conscience de cette différence de temporalité qui peut donner aux ex-patients l'impression d'être en décalage. Elle incite aussi les personnes confrontées à un cancer testiculaire à aborder la question de la sexualité avec leur oncologue –«Ils sont tout à fait à même de répondre aux interrogations des patients», confirme Johann Barkatz.

Elle insiste également sur le fait que l'accompagnement psychologique est un soin de support qui fait pleinement partie du traitement et recommande de faire appel à des professionnels de l'oncosexualité ainsi qu'à des associations, afin d'échanger avec des gens qui ont vécu une expérience similaire et avec qui il peut être plus facile d'aborder des questions intimes et de parler de sexualité. Il existe aujourd'hui différentes manières de ne pas rester seul face à ses doutes et difficultés. C'est sans doute ce qui a manqué à Pierre, à une époque où le web, et donc les possibilités d'échanges et de prise d'informations, en était à ses balbutiements.

QOSHE - Il faut oser parler de ce à quoi ressemble la sexualité après un cancer du testicule - Laure Dasinieres
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Il faut oser parler de ce à quoi ressemble la sexualité après un cancer du testicule

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29.11.2023

Temps de lecture: 5 min

Chaque année en France, quelque 3.000 cancers testiculaires sont diagnostiqués. Les pronostics sont en général plutôt bons, mais ces cancers ont la particularité de plutôt affecter des personnes jeunes (entre 20 et 35 ans). Or, si l'annonce d'une telle maladie est toujours «une crise majeure dans l'histoire de vie», comme le signale Audrey Lesieur, psychologue clinicienne et vice-présidente de la Société française et francophone de psycho-oncologie, celle d'un cancer du testicule est «un véritable tsunami pour des hommes jeunes, en pleine santé, qui ne connaissent pas la maladie», expose le docteur Johann Barkatz, chirurgien-urologue au CHU de Besançon.

Mathieu, 47 ans aujourd'hui, se souvient de ce jour de 1997 où le diagnostic est tombé. «J'avais 20 ans. Je n'avais aucune idée de quoi il s'agissait, je ne savais même pas que cette maladie existait. J'ai vécu l'annonce comme quelque chose d'une grande brutalité. C'était aussi la période où je découvrais ma sexualité et ce cancer a joué un immense rôle dans la manière dont celle-ci s'est construite.» De son côté, Pierre, 50 ans, se rappelle l'onde de choc relationnelle provoquée par la maladie: «J'ai reçu le diagnostic à 27 ans. Je vivais alors maritalement avec ma copine. Elle m'a quitté au tout début des traitements, car elle pensait que je ne pourrais pas avoir d'enfants. Entre cette rupture, le cancer et les traitements, j'ai éprouvé une énorme perte de confiance en moi et en mon corps qui a rendu ma vie affective particulièrement compliquée pendant un moment.»

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En effet, que la fonction sexuelle soit affectée ou non dans le sens biomédical du terme, les conséquences sur la vie affective et la sexualité sont souvent lourdes et durables, c'est-à-dire bien après l'arrêt des traitements (durant lesquels la libido est quasiment inexistante). «Sur le moment, la sexualité passe après. Après le stress, la fatigue, les effets indésirables, les modifications de l'image corporelle. Mais c'est une question qui se repose dès la rémission», note Johann........

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