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«Depuis plusieurs années, presque à chaque fois que j'ai mes règles, j'ai mal aux genoux. Je ne vois pas trop le rapport mais comme ça passe, je n'en ai jamais parlé à mon médecin», raconte Lucie, 40 ans et très sportive (voire un peu trop, selon ses dires). De son côté, Noémie, 30 ans, explique que «juste avant que [s]es règles arrivent, [elle a] très souvent une douleur aiguë au niveau de l'anus, comme si on enfonçait un truc. C'est assez fugace mais très désagréable.» Quant à Éloïse, 25 ans, elle témoigne de douleurs dans le bas du dos et de lourdeurs et crampes dans les cuisses à l'arrivée de ses menstruations. «Comme des courbatures, sauf que je ne fais pas de sport. C'est assez gênant et je ne comprends pas à quoi c'est dû.»

Comme de nombreuses personnes menstruées ne souffrant pas d'endométriose ou d'autres affections gynécologiques particulières, Lucie, Noémie et Éloïse supportent chaque mois des douleurs et des gênes qui n'ont apparemment aucun lien avec ce qui se passe dans leur utérus. Or, à l'instar des diarrhées qui surviennent quand pointe le sang dans la culotte, ces maux restent des non-dits emballés dans le package «c'est normal de ne pas être au top pendant ses règles». Pourtant, des explications (et avec elles, des solutions pour trouver un soulagement) existent. Trois axes sont à envisager.

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L'un des premiers facteurs explicatifs de ces douleurs inattendues repose sur la variation du seuil de la douleur au cours du cycle menstruel. Serge Marchand, professeur associé à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke, au Canada, et spécialiste des douleurs associées aux cycles menstruels, expose: «Durant la période périmenstruelle, c'est-à-dire juste avant, pendant et juste après les règles, les seuils de douleur ont tendance à diminuer. La différence est souvent légère: on ne passe pas de zéro douleur à une douleur intense. Hors période périmenstruelle, certaines personnes sont juste en deçà du seuil où la douleur est perçue. Puis, elles passent au-dessus et se mettent à avoir mal sur le mode du gênant et de l'agaçant. Mais s'il existait déjà une douleur, d'intensité légère à modérée, celle-ci peut devenir franchement difficile à supporter.»

C'est en premier lieu la chute brutale des taux de progestérone et d'œstrogènes à la toute fin du cycle (c'est-à-dire juste avant les règles) qui est responsable de cet abaissement du seuil de la douleur. «Ces deux hormones ont tendance à apaiser la douleur. Quand leur taux diminue, la douleur ressentie est plus forte», énonce le Pr Arnaud Fauconnier, gynécologue au CHI de Poissy-Saint-Germain.

Serge Marchand poursuit: «Il existe un autre phénomène que nous avons étudié au laboratoire avec mes équipes: nous possédons toutes et tous, de manière naturelle, des mécanismes de freinage de la douleur. Ce sont des mécanismes endogènes où l'organisme relâche des endorphines, de la sérotonine et de la noradrénaline. Nous nous sommes aperçu que pendant la période périmenstruelle, ces mécanismes de freinage diminuent de façon très importante.»

En lisant cet article, vous vous dites sans doute que tout le monde n'éprouve pas de douleurs articulaires ou musculaires autour de la période de règles. Et c'est normal parce que, d'une manière générale, tout le monde n'a pas la même sensibilité. Serge Marchand signale ainsi que «face à la douleur, il y a des différences notables entre les personnes: certaines n'ont jamais mal nulle part, d'autres sont sujettes à des douleurs chroniques. Il y a à cela des explications d'ordre génétique, comme ce qui serait une espèce de fragilité innée. Puis, il a des facteurs comportementaux, comme avoir une activité physique régulière, être suffisamment exposé à la lumière du jour ou le fait de bien dormir, comportements qui ont un effet régulateur sur la production hormonale. Il y a, enfin, des explications d'ordre psychologique: l'anxiété a tendance à accroître la douleur.»

Ce «double effet Kiss Cool» prémenstruel peut ainsi expliquer que certaines personnes éprouvent des douleurs ou voient leurs douleurs habituelles s'exacerber avant et pendant les règles. Mais d'autres mécanismes peuvent également entrer en jeu.

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C'est sous l'angle de l'inflammation que Lisa Falco, autrice de La Science fabuleuse du corps des femmes, explique les choses: «L'inflammation est l'un des principaux facteurs de douleurs articulaires. Or, le niveau d'inflammation varie avec les fluctuations hormonales. Bien qu'agissant de manière très différente, les œstrogènes et la progestérone ont des effets anti-inflammatoires, de sorte que lorsque leur taux est élevé, les douleurs articulaires sont souvent moins fortes. Lorsque la progestérone chute brutalement en fin de cycle, cet effet anti-inflammatoire se dissipe. Cela peut entraîner des poussées de douleurs articulaires juste avant et pendant les règles.»

Pour Serge Marchand, ce processus est vraisemblablement lié aux prostaglandines, des molécules libérées par l'organisme au moment des menstruations afin de favoriser les contractions de l'utérus. «Seulement, note-t-il, ces prostagladines ne sont pas relâchées uniquement de manière locale mais aussi de manière systémique.» Et certaines prostaglandines sont considérées comme pro-inflammatoires.

Mais le spécialiste est un peu dubitatif quant à une généralisation du phénomène inflammatoire en période prémenstruelle: «Toutes les personnes qui ont leurs règles ne sont pas affectées par des douleurs articulaires en début de cycle. Cette explication est donc probable mais pas elle n'a pas de valeur universelle.»

Enfin, certaines douleurs peuvent être directement causées par les contractions utérines qui permet d'évacuer le sang ainsi que par les douleurs viscérales liées aux changements hormonaux. C'est typiquement les douleurs anales que décrit Noémie (on appelle ça «proctalgie fugace»).

«C'est assez violent, quand même, une contraction utérine, c'est un peu comme une espèce d'infarctus, avise Serge Marchand. Si, parfois, les douleurs qu'elle provoque ne sont pas ou peu ressenties au niveau abdominal, elles peuvent être projetées au niveau du dos ou des jambes. Il est fort probable qu'une douleur au genou qui survient uniquement juste avant et pendant les règles soit ainsi une douleur projetée. Le genou fait certes mal, mais il va très bien!»

De son côté, Arnaud Fauconnier explique: «Les douleurs se diffusent parce que les organes se parlent. Les douleurs se projettent et bien davantage, comme si le feu se propageait d'un organe à un autre. On parle ainsi d'“organ crosstalk” ou de dialogue croisé entre les organes.» Il signale en outre que les nerfs des jambes passent par le petit bassin, siège des organes pelviens (dont l'utérus) et indique que l'innervation des organes internes n'est pas très précise; c'est pourquoi il est difficile de savoir avec exactitude là où on a mal, ce qui fait mal et d'où vient la douleur.

Face à ces douleurs musculaires, articulaires et parfois neuropathiques qui surviennent avant et pendant les règles, nos experts ont en premier lieu insisté sur la nécessité d'avoir une activité physique régulière, qui permet de réguler le fonctionnement hormonal. En outre, cette activité physique –il peut simplement s'agir de marche à pied– libère des hormones dont les endorphines et la dopamine, qui assurent un rôle d'antidouleur. Serge Marchand ajoute que l'activité physique permet de relever les taux de testostérone (oui, les femmes produisent aussi naturellement de la testostérone). «Cette hormone est protectrice pour certains types de douleur», précise le spécialiste.

À l'activité physique, il faut ajouter un bon sommeil, une exposition suffisante à la lumière du jour –la luminothérapie peut être une option, notamment en hiver–, ainsi qu'une alimentation riche en oméga-3 et 6 et pauvre en excitants comme les boissons caféinées. Le sexe pendant les règles peut aussi bien aider. Enfin, tout ce qui contribue à faire baisser le stress et l'anxiété peut aussi réduire les douleurs. Là, c'est à chaque personne de trouver ce qui lui convient: yoga, méditation, acupuncture, etc.

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Mais toutes ces mesures, qui rentrent dans une approche globale et à long terme de la douleur, ne suffisent pas forcément. Alors, Lisa Falco signale: «Le moyen le plus efficace contre la douleur est de prendre des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), comme l'ibuprofène.» Elle nuance: «Cependant, comme ils peuvent avoir des effets secondaires, surtout s'ils sont pris sur de longues périodes, il est important d'en discuter au préalable avec votre médecin.»

Serge Marchand considère quant à lui que «l'hormonothérapie peut être une bonne réponse», tout en précisant que chaque personne réagit différemment à la prise d'hormones, qu'il faut parfois plusieurs essais pour trouver le traitement adapté, et qu'il arrive que cela ne fonctionne tout simplement pas.

La route pour comprendre et prendre en charge les douleurs liées au cycle menstruel est encore longue, mais les choses avancent.

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Mal aux genoux, à l'anus ou au dos pendant vos règles? Explications et solutions

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28.11.2023

Temps de lecture: 6 min

«Depuis plusieurs années, presque à chaque fois que j'ai mes règles, j'ai mal aux genoux. Je ne vois pas trop le rapport mais comme ça passe, je n'en ai jamais parlé à mon médecin», raconte Lucie, 40 ans et très sportive (voire un peu trop, selon ses dires). De son côté, Noémie, 30 ans, explique que «juste avant que [s]es règles arrivent, [elle a] très souvent une douleur aiguë au niveau de l'anus, comme si on enfonçait un truc. C'est assez fugace mais très désagréable.» Quant à Éloïse, 25 ans, elle témoigne de douleurs dans le bas du dos et de lourdeurs et crampes dans les cuisses à l'arrivée de ses menstruations. «Comme des courbatures, sauf que je ne fais pas de sport. C'est assez gênant et je ne comprends pas à quoi c'est dû.»

Comme de nombreuses personnes menstruées ne souffrant pas d'endométriose ou d'autres affections gynécologiques particulières, Lucie, Noémie et Éloïse supportent chaque mois des douleurs et des gênes qui n'ont apparemment aucun lien avec ce qui se passe dans leur utérus. Or, à l'instar des diarrhées qui surviennent quand pointe le sang dans la culotte, ces maux restent des non-dits emballés dans le package «c'est normal de ne pas être au top pendant ses règles». Pourtant, des explications (et avec elles, des solutions pour trouver un soulagement) existent. Trois axes sont à envisager.

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L'un des premiers facteurs explicatifs de ces douleurs inattendues repose sur la variation du seuil de la douleur au cours du cycle menstruel. Serge Marchand, professeur associé à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke, au Canada, et spécialiste des douleurs associées aux cycles menstruels, expose: «Durant la période périmenstruelle, c'est-à-dire juste avant, pendant et juste après les règles, les seuils de douleur ont tendance à diminuer. La différence est souvent légère: on ne passe pas de zéro douleur à une douleur intense. Hors période périmenstruelle, certaines personnes sont juste en deçà du seuil où la douleur est perçue. Puis, elles passent au-dessus et se mettent à avoir mal sur le mode du gênant et de l'agaçant. Mais s'il existait déjà une douleur, d'intensité légère à modérée, celle-ci peut devenir........

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