Temps de lecture: 3 min

Voici l'histoire de mon infortune. Hélas, elle n'est pas le fruit de mon imagination pas plus qu'elle n'est écrite sous l'effet d'une drogue récréative.

Un jour de juillet, sans crier gare, une bouteille d'huile d'olive entreposée dans un placard situé au-dessus de notre gazinière a explosé. Trois mois plus tard, j'ignore toujours la raison de cet attentat particulièrement odieux. Est-ce la chaleur qui a eu raison de la résistance du verre? La bouteille avait-elle un défaut de fabrication invisible à l'œil nu? Était-ce un coup du Hamas? Ou bien s'agissait-il d'un tour de prestidigitation d'un dieu particulièrement taquin? Allez savoir.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

Par coulées entières, comme si un barrage venait de céder, l'huile d'olive s'est répandue à travers la cloison pour mieux transpercer la hotte aspirante avant de s'éprendre de la gazinière, d'où elle a pris son élan en direction du four, dernière étape de sa folle randonnée.

Ma compagne a été la première à se rendre sur les lieux du crime. Les hurlements qui s'en sont suivis me marqueront jusqu'à ma mort. Notre chat se serait permis un plongeon dans une marmite d'eau bouillante que sa réaction n'eut pas été aussi féroce.

Accouru en toute hâte, je n'ai pu que constater, impuissant, l'affreux spectacle. Du placard dégoulinaient en flux continu des rigoles d'huile d'olive tandis qu'un peu partout, tout autour des plaques de cuisson, à l'intérieur du four jusqu'au sol, subsistaient des flaques pleines d'un liquide jaune verdâtre à la viscosité si prononcée que je faillis par deux fois valdinguer dans les airs. Plût au ciel que pareille mésaventure se soit produite, qui sait si aujourd'hui, je ne filerais pas le parfait amour avec ma tendre compagne.

À partir de cette seconde, bien que je l'ignorais encore, mon sort était scellé, ma vie ruinée, ma mort assurée. Il serait trop long d'énumérer ici la liste de tous les méfaits qui depuis se sont abattus sur moi; sachez seulement qu'à la suite de ce coup du sort, à cette improbable explosion, notre propriétaire s'est mis en tête de nous expulser, intention qui a provoqué chez ma compagne une angoisse si tellurique que pour se sauver, elle a décidé de mettre un terme (provisoire?) à nos dix-huit années de vie commune.

À LIRE AUSSI

Que contiennent vraiment les huiles de CBD?

J'ai l'air de plaisanter mais je n'ai jamais été aussi sérieux. Je peux affirmer ici que si cette bouteille d'huile d'olive –que soit maudit sur mille générations le verre à l'origine de ce drame– n'avait pas eu l'idée saugrenue de se faire sauter le caisson, je serais aujourd'hui le plus heureux des hommes. Au lieu de quoi, je suis devenu une ombre, un fantôme, un être hagard qui a perdu dans la même seconde et sa femme et son goût pour tous produits qui se vanteraient d'appartenir à la famille des oléagineux.

Car évidemment, comme tout Tunisien qui se respecte, l'huile d'olive était toute ma vie. J'en mettais partout, d'une simple salade à un risotto aux cèpes, en passant par tout ce qui avait le malheur d'échouer dans mon assiette. Citron et huile d'olive étaient alors le pilier de mon existence, les seuls dieux que je me reconnaissais. J'en consommais tant que j'en stockais par conteneurs entiers. Si jamais par extraordinaire, il venait à en manquer, des attaques de panique me secouaient au point où je devais me précipiter dare-dare chez l'épicier du coin.

Je vivais pour et par l'huile d'olive. Que cette dernière soit à l'origine de ma ruine n'est pas sans comporter une certaine dose d'ironie. Ainsi donc le produit que je révérais le plus au monde, le sang de mon sang, la mémoire de ma mère, l'odeur de mon enfance, avait fini par se retourner contre moi, comme ces fils qui, devenus adultes, se révoltent contre leurs parents au point de couper tout lien avec eux.

À LIRE AUSSI

La sécheresse en Italie menace la production d'huile d'olive, de riz de risotto et de sauce tomate

L'huile d'olive m'avait tout donné, elle m'a tout repris, ma femme, mon honneur, ma vie.

Il existe sûrement une leçon à tirer de tout ce carnage. Peut-être ai-je trop aimé l'huile d'olive et pas assez ma femme. C'est possible. Après tout, si dans ma vie, je saurais me passer de femme, d'huile d'olive, il n'en saurait être question. Plutôt mourir. Ah me dis-je parfois, si seulement c'était ma compagne qui avait d'une manière ou d'une autre explosé –enfin d'une certaine façon sa réaction a bel et bien été explosive!– je m'en serais peut-être remis.

Mais là, d'avoir été trahi par ce que j'aimais le plus au monde, c'est plus que je ne saurais en supporter.

Je suis donc depuis aujourd'hui célibataire.

Et c'est à l'huile de tournesol que j'assaisonne ma vie.

Ô cruauté inexpugnable de la vie, pourquoi m'avoir choisi moi parmi des millions?!

Pour suivre l'actualité de ce site, c'est par ici: Facebook-Un Juif en cavale

QOSHE - Comment une bouteille d'huile d'olive a ruiné mon couple - Laurent Sagalovitsch
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Comment une bouteille d'huile d'olive a ruiné mon couple

8 1
20.11.2023

Temps de lecture: 3 min

Voici l'histoire de mon infortune. Hélas, elle n'est pas le fruit de mon imagination pas plus qu'elle n'est écrite sous l'effet d'une drogue récréative.

Un jour de juillet, sans crier gare, une bouteille d'huile d'olive entreposée dans un placard situé au-dessus de notre gazinière a explosé. Trois mois plus tard, j'ignore toujours la raison de cet attentat particulièrement odieux. Est-ce la chaleur qui a eu raison de la résistance du verre? La bouteille avait-elle un défaut de fabrication invisible à l'œil nu? Était-ce un coup du Hamas? Ou bien s'agissait-il d'un tour de prestidigitation d'un dieu particulièrement taquin? Allez savoir.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

Par coulées entières, comme si un barrage venait de céder, l'huile d'olive s'est répandue à travers la cloison pour mieux transpercer la hotte aspirante avant de s'éprendre de la gazinière, d'où elle a pris son élan en direction du four, dernière étape de sa folle randonnée.

Ma compagne a été la première à se rendre sur les lieux du crime. Les hurlements qui s'en sont suivis me marqueront jusqu'à ma mort. Notre chat se serait permis un plongeon dans une........

© Slate


Get it on Google Play