Temps de lecture: 3 min

On ne peut pas imaginer un seul instant que Gérard Depardieu se découvrant dans ce documentaire qui lui était consacré l'autre jour n'ait pas éprouvé une gêne infinie à se voir ainsi à l'écran. Il y avait dans ces séquences trop d'outrances, trop de lourdeur imbécile, trop de vulgarité pour qu'un esprit normalement constitué puisse ressentir autre chose qu'un embarras, une honte, une peine, qui sait, un vague remords.

Au fond, ces scènes, par-delà leur obscénité, étaient d'une tristesse infinie. Qu'y voyait-on, si ce n'est le naufrage d'un homme qui ne s'appartient plus, qui cherche par tous les moyens à épater son entourage, à provoquer comme seules savent le faire ces personnes imbibées de solitude et pour qui il faut sans cesse repousser les limites de la convenance afin de se sentir aimé.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

Il y avait surtout le spectacle d'un homme ivre au-delà de toute mesure. Ce n'est un secret pour personne que Gérard Depardieu boit comme d'autres respirent. Il boit obstinément, furieusement, anarchiquement, dans des proportions qui défient l'entendement. De cet alcoolisme qui n'a rien de mondain mais s'apparente plutôt à une manière d'être au monde, de l'affronter, de le supporter, une ivresse perpétuelle destinée avant tout à disparaître dans la grande nuit de l'oubli.

Quand on boit comme Depardieu, on ne boit jamais par plaisir, non, on boit par nécessité, on boit pour noyer son mal-être, on boit pour fuir les fantômes qui vous poursuivent, on boit pour hâter sa mort, on boit pour boire, on boit pour ne plus exister. On boit pour oublier qu'on boit, on boit pour ne plus avoir à se confronter à soi, on boit pour se haïr encore mieux, on boit pour colorer une vie qui depuis longtemps a cessé de ressembler à une fête foraine.

Cela n'excuse évidemment en rien ses dérapages ou ses inconséquences, ses brusqueries et ses provocations, ni ces agressions sexuelles dont il est accusé, mais ne pas en tenir compte empêcherait de comprendre comment un homme doté d'une sensibilité pareille puisse se fourvoyer de la sorte. Il y a chez Depardieu comme un trop-plein, un trop-plein de vie, un trop-plein de fragilité, un trop-plein de désespoir, un désordre intérieur ou une inadéquation avec le monde dont la consommation démentielle d'alcool serait le signe extérieur.

Peut-être que Depardieu n'a plus déssoûlé depuis des années et des années. Que son ivresse l'a entraîné si loin dans la débauche qu'il n'a plus qu'une vague idée de la manière dont son esprit fonctionne. Qu'il a trop abusé de l'alcool pour parvenir à avoir une idée nette de ce qu'il est devenu, un homme perdu à lui-même et aux autres. Un personnage qui embarrasse et provoque même un certain effroi.

À LIRE AUSSI

J'ai bu une bière sans alcool, j'ai fini bourré ou presque

Les artistes, quand ils sont habités par le génie comme l'est Depardieu, ont souvent un côté monstrueux, une manière de ressentir le monde avec une intensité, une acuité telle qu'ils se retrouvent toujours à danser au bord de la folie, au-dessous du volcan, à deux doigts de se rompre. Certains se suicident, se droguent, d'autres boivent, mangent comme s'ils cherchaient avant tout à s'auto-engloutir, à s'ensevelir sous une montagne d'ivresse.

«Quand je ne bois pas, c'est le monde que je ne supporte pas, et quand j'ai bu, c'est le monde qui ne me supporte pas», écrivait Scott Fitzgerald. Il en va de même avec Depardieu. Il boit avec la ténacité du suicidé. Il boit pour fuir l'ennui qui le ronge. Pour amuser la galerie. Pour envoyer paître le monde. Pour choquer et faire réagir. Pour se donner en spectacle. Pour être tout sauf Gérard Depardieu.

L'alcoolique ne s'aime jamais. Jamais.

Aussi il ne sert à rien de lui tomber dessus comme certains le font depuis la diffusion de cette enquête. Depardieu est malade, malade de lui-même. Il n'est pas irresponsable mais il se comporte comme s'il était. Un enfant négligé et qui vit selon ses propres règles puisque personne ne lui en a appris d'autres. Si de glapir son indignation a toujours été une manière de s'abstenir de juger son propre cas, en le cas présent, il serait plus inspiré de commander à l'interprète de Cyrano d'arrêter de boire.

Ce qui n'arrivera pas.

Un être si entièrement dévoré par la boisson n'a pas d'autre recours que de boire encore plus.

De boire jusqu'à son dernier souffle.

Pour suivre l'actualité de ce blog, c'est par ici: Facebook-Un Juif en cavale

QOSHE - Depardieu n'est pas seulement abject, il est alcoolique - Laurent Sagalovitsch
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Depardieu n'est pas seulement abject, il est alcoolique

6 23
19.12.2023

Temps de lecture: 3 min

On ne peut pas imaginer un seul instant que Gérard Depardieu se découvrant dans ce documentaire qui lui était consacré l'autre jour n'ait pas éprouvé une gêne infinie à se voir ainsi à l'écran. Il y avait dans ces séquences trop d'outrances, trop de lourdeur imbécile, trop de vulgarité pour qu'un esprit normalement constitué puisse ressentir autre chose qu'un embarras, une honte, une peine, qui sait, un vague remords.

Au fond, ces scènes, par-delà leur obscénité, étaient d'une tristesse infinie. Qu'y voyait-on, si ce n'est le naufrage d'un homme qui ne s'appartient plus, qui cherche par tous les moyens à épater son entourage, à provoquer comme seules savent le faire ces personnes imbibées de solitude et pour qui il faut sans cesse repousser les limites de la convenance afin de se sentir aimé.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

Il y avait surtout le spectacle d'un homme ivre au-delà de toute mesure. Ce n'est un secret pour personne que Gérard Depardieu boit comme d'autres respirent. Il boit........

© Slate


Get it on Google Play