Temps de lecture: 4 min

Cela ne date pas d'hier mais sitôt qu'on parle des juifs ou d'Israël, le monde entier perd les pédales et parle à tort et à travers. Une sorte de pornographie de la parole où chacun y va de son couplet sans jamais se montrer capable de discernement, comme si ce simple vocable de «juif» incendiait les esprits au point de leur faire abandonner toute raison.

Les juifs donnent le tournis. Prenez le plus sage, le plus savant des philosophes, entretenez-le de la question juive ou des juifs en général et il partira en vrille au bout de deux répliques avant de se mettre à justifier l'injustifiable. Les juifs enflamment les imaginaires, provoquent des réactions si grossières, si outrancières, si disproportionnées qu'on en vient à se demander s'il n'existe pas dans quelque repli secret du cerveau une sorte de zone interdite où prospèrent toutes sortes d'idées nauséabondes consacrées à eux seuls.

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Les juifs représentent à peine 0,2% de l'humanité et pourtant, on ne parle que d'eux et le plus souvent pour les peindre sous des couleurs peu amènes. À croire que sans eux, le monde périrait d'ennui! Qu'est-ce donc qui fascine autant les peuples, les nations, les individus pour que sans relâche, on en vienne à les discriminer, à les haïr, à les vitupérer, à les réduire en fumée?

Pourtant voilà un peuple qui pendant des siècles et des siècles, bien avant la création de l'État hébreu, n'a jamais commis aucun tort à personne. Et qui n'a jamais rien exigé si ce n'est de vivre selon ses lois et ses traditions. En récompense de quoi on les a expulsés d'à peu près partout, on les a accusés des pires vilenies, on les a enfermés dans des ghettos, on a brûlé leurs livres avant de les brûler eux-mêmes.

On les a jalousés, on les a enviés, on les a maudits sans jamais avancer une seule raison valable à ces comportements grossiers. Furent-ils consacrés par la Bible comme le peuple destiné à recevoir les commandements de Dieu qu'ils en payèrent le prix au péril de leur vie. Serait-ce donc cela leur grande faute, leur culpabilité suprême, celle d'avoir voulu encadrer les passions humaines –la sauvagerie innée de l'être humain– par l'application de lois aussi justes que sévères?

Si seulement Moïse s'était perdu en chemin en redescendant du mont Sinaï, si au détour d'un sentier, il avait fait une chute fatale, que douce aurait été leur existence, que d'ennuis ils se seraient épargnés, que de pogroms, d'humiliations, de déportations ils se seraient évités! Moïse, mais Moïse, toi qui bégayais, pourquoi au lieu de ta bouche, ce ne sont pas tes pieds qui ont bégayé quand tu t'es mis en tête de rapporter les paroles de l'Éternel auprès de ton peuple? Par générosité d'âme, pourquoi n'avoir pas pris la tangente et t'être perdu dans le désert, gardant près de toi ces lois qui ont mis le feu aux consciences, un feu qui continue à brûler jusqu'à aujourd'hui?

Prenez Israël. Voyez avec quelle fureur aujourd'hui on en parle comme si c'était la première fois dans la longue et sanglante histoire de l'humanité que des hommes livraient bataille pour un misérable morceau de territoire. Faudrait-il que les juifs soient juste nés pour souffrir, qu'on leur interdise de se défendre quand on les attaque, qu'on leur reproche ce que des pays par tout temps ont eu comme conduite quand ils furent en proie à des barbares sans nom?

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Les juifs devraient-ils donc être parfaits, des surhommes capables d'endurer guerre sur guerre sans jamais réagir, et accepter d'être jetés à la mer afin de satisfaire les revendications territoriales de tel ou tel peuple? Croit-on vraiment que si ces colonies étaient rendues, si un nouveau pays voyait le jour –ce que je souhaite ardemment– il en serait fini de cette haine ancestrale, de ce désir d'anéantissement qui semble naître au plus profond des cœurs de chacun?

Avez-vous vu des manifestations monstres aux quatre coins du monde quand en Syrie, un boucher de président trucidait son peuple dans l'indifférence généralisée? Ou que d'autres États se livraient à des guerres sans merci, tuant et affamant leurs populations? Qu'est-ce qui fait qu'un individu quelconque, sans attache aucune avec cette région du monde, se retrouve soudain à battre le pavé parisien ou londonien en demandant la libération de la Palestine «de la rivière à la mer»? Que des membres appartenant à des minorités sexuelles en viennent à soutenir des régimes qui nieraient leur droit fondamental à exister si jamais ils vivaient sous leur joug? Qu'un comique ou prétendu tel se pense autorisé à effectuer un rapprochement odieux entre le nazisme et la conduite d'un Premier ministre israélien aussi retors soit-il? Qu'une certaine gauche assoiffée de justice sociale soit réduite à tacitement approuver des conduites qui déshonorent le genre humain?

Ou que sur des campus situés à des milliers de kilomètres de l'endroit concerné, des étudiants de tout bord en viennent à décoller des affiches où figure la liste d'otages innocents? Et quand des grandes organisations internationales se montrent incapables de nommer «terroristes» ceux qui poignardèrent des bébés, éventrèrent des femmes, battirent à mort des vieillards, que doit-on en conclure si ce n'est que le juif, par-delà toutes les abominations dont il fut victime à travers les âges, continue à être victime d'une haine qui échappe encore et toujours à la raison?

Ce n'est pas que les juifs ou les Israéliens soient sans défauts, ce n'est pas que leurs agissements ne soient parfois scandaleusement injustes et cruels, mais pourquoi leur en faire autant reproche quand pour d'autres on ne dit ou ne réclame jamais rien? Ce deux poids, deux mesures dit la démesure d'une pensée qui exige des juifs de se comporter comme des victimes sacrificielles d'un désordre mondial dont ils seraient par principe les seuls et uniques responsables.

La haine du juif, c'est la haine de l'humanité et de ce qu'elle est devenue, un champ de bataille sans foi, ni loi.

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Deux poids, deux mesures mais un seul coupable, le juif, encore et toujours

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07.11.2023

Temps de lecture: 4 min

Cela ne date pas d'hier mais sitôt qu'on parle des juifs ou d'Israël, le monde entier perd les pédales et parle à tort et à travers. Une sorte de pornographie de la parole où chacun y va de son couplet sans jamais se montrer capable de discernement, comme si ce simple vocable de «juif» incendiait les esprits au point de leur faire abandonner toute raison.

Les juifs donnent le tournis. Prenez le plus sage, le plus savant des philosophes, entretenez-le de la question juive ou des juifs en général et il partira en vrille au bout de deux répliques avant de se mettre à justifier l'injustifiable. Les juifs enflamment les imaginaires, provoquent des réactions si grossières, si outrancières, si disproportionnées qu'on en vient à se demander s'il n'existe pas dans quelque repli secret du cerveau une sorte de zone interdite où prospèrent toutes sortes d'idées nauséabondes consacrées à eux seuls.

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Les juifs représentent à peine 0,2% de l'humanité et pourtant, on ne parle que d'eux et le plus souvent pour les peindre sous des couleurs peu amènes. À croire que sans eux, le monde périrait d'ennui! Qu'est-ce donc qui fascine autant les peuples, les nations, les individus pour que sans relâche, on en vienne à les discriminer, à les haïr, à les vitupérer, à les réduire en fumée?

Pourtant voilà un peuple qui pendant des siècles et des siècles, bien avant la création de l'État hébreu, n'a jamais commis aucun tort à personne. Et qui n'a jamais rien........

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