Temps de lecture: 3 min

Ce fut une sinistre erreur de ma part. Alors que ma compagne formulait le vœu de marquer une pause dans notre vie conjugale, dans un geste d'apaisement, j'ai consenti à lui laisser le chat pour quelque temps. J'ignore ce qui m'a pris. Comment moi qui précisément ne peux vivre sans chat, ai-je pu m'imaginer un seul instant que j'allais pouvoir m'affranchir de sa présence, de celle du chat j'entends?! Je ne m'explique pas pareil renoncement. M'aurait-on drogué à mon insu? Ou bien l'annonce de cette séparation avait assombri mes capacités mentales au point que j'en vienne à ânonner des bêtises sans nom? Moi, vivre loin de mon chat?! Autant me demander de creuser ma propre tombe pour mieux m'y enfouir.

Depuis que je l'ai abandonné, je vais dans la vie comme un fantôme. Son absence a laissé dans mon cœur un vide que rien ne saurait remplacer. Partout où je vais, à chaque seconde de mon existence, je le cherche et ne le trouvant pas, j'en éprouve une tristesse qui est comme un désespoir, une impossibilité à exister sans sa présence.

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C'est que depuis des années et des années, j'ai noué avec mes chats successifs des relations qui dépassent de loin celles normalement admises entre un animal domestique et «son maître». Le chat a toujours été mon plus fidèle complice, un compagnon de vie avec qui je partageais tout, mon quotidien comme mes pensées les plus intimes. L'écriture en ce qu'elle exige une présence presque constante à son bureau favorise et encourage ce dialogue avec l'animal au point où au fil des années se noue une relation exclusive, une connivence, un lien indestructible.

Le chat devient alors un ami, un allié de toutes les minutes. Il est là qui dort sur un fauteuil tout près; parfois, entre deux siestes, il vient quémander une caresse, un peu d'attention avant de retourner à ses songes, là où personne n'est jamais allé. Le voilà qui se réveille tout à fait, il a faim, il veut jouer, il campe devant votre ordinateur comme un empereur romain, il exige d'être considéré: n'est-il pas après tout l'objet, la raison même de votre vie, le centre de votre existence?

Sans chat, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. Il lui manque cette fantaisie, cette grâce, cette drôlerie, cette beauté, cette légèreté dont il est l'incarnation même. Le chat n'a pas besoin de dieu pour exister, il est sa propre divinité, il incarne cet idéal auquel aspire chacun d'entre nous, le pouvoir de vivre sa vie entre rêve et réalité, d'être à la fois dedans et dehors, de devenir funambule de sa propre existence.

Sans lui, je me sens diminué, rapiécé, comme s'il me manquait une partie de moi-même. La plupart du temps, j'évite de penser à lui. Sa simple évocation suffit pour me plonger dans des angoisses impossibles. Je suis orphelin de sa présence. Je n'ai même pas la force de regarder les photos qui peuplent pourtant mon téléphone, je sens que c'est au-dessus de mes forces, que le simple fait de le voir suffirait à m'arracher des larmes.

C'est déraisonnable mais c'est ainsi.

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Évidemment, la réciproque n'est pas vraie. Probablement m'a-t-il déjà oublié. Le chat est pragmatique. Il ne verse pas dans la sensiblerie. Qui lui donne à manger, nettoie sa litière, lui procure quelques caresses, prend le temps de jouer avec, devient aussitôt l'objet de toutes ses attentions et considérations. Il vit dans le présent. Peut-être lui apparais-je au détour d'une rêverie, un vague visage qui aussitôt prend l'allure d'une souris sur laquelle il se jette avec une férocité démoniaque avant de la déchiqueter de ses dents acérées.

Si seulement il savait lire, je pourrais lui écrire des lettres à même de lui dire ma peine et mon chagrin, mais il n'a jamais été versé dans l'étude. Sa majesté préférait courir derrière des morceaux de papier ou des jouets dispendieux que de parfaire sa maîtrise du français. À part dire «J'ai faim», il est ignare comme le plus accompli des cancres. Pour un chat d'écrivain, cela fout mal mais cette incurie ne l'a jamais empêché de dormir. Bien au contraire.

Trois semaines que je ne l'ai vu. Une éternité. Un gouffre. Maintenant que je ne suis plus là à jouer avec lui, à l'espionner, à l'importuner avec ma musique, il doit être comme un roi dans son royaume. Plus personne pour venir l'ennuyer de la journée. La maison pour lui tout seul. Enfin, la paix, la possibilité de dormir des heures durant sans jamais être sollicité par son crétin de maître. Probablement est-ce lui qui a brisé cette bouteille d'huile d'olive responsable du délitement de mon couple. Le chat arrive toujours à ses fins.

Je pourrais d'ores et déjà en adopter un nouveau, mais ce serait comme le trahir, clore une histoire à laquelle je ne renonce pas encore. Après tout c'est mon chat, mon œuvre, la plus belle des créations. Il me doit autant que je lui dois.

Un jour, il me reviendra.

Et jamais plus aucune femme ne s'interposera entre lui et moi!

Craché, juré.

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J'ai laissé mon chat à mon ex, une funeste erreur!

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11.12.2023

Temps de lecture: 3 min

Ce fut une sinistre erreur de ma part. Alors que ma compagne formulait le vœu de marquer une pause dans notre vie conjugale, dans un geste d'apaisement, j'ai consenti à lui laisser le chat pour quelque temps. J'ignore ce qui m'a pris. Comment moi qui précisément ne peux vivre sans chat, ai-je pu m'imaginer un seul instant que j'allais pouvoir m'affranchir de sa présence, de celle du chat j'entends?! Je ne m'explique pas pareil renoncement. M'aurait-on drogué à mon insu? Ou bien l'annonce de cette séparation avait assombri mes capacités mentales au point que j'en vienne à ânonner des bêtises sans nom? Moi, vivre loin de mon chat?! Autant me demander de creuser ma propre tombe pour mieux m'y enfouir.

Depuis que je l'ai abandonné, je vais dans la vie comme un fantôme. Son absence a laissé dans mon cœur un vide que rien ne saurait remplacer. Partout où je vais, à chaque seconde de mon existence, je le cherche et ne le trouvant pas, j'en éprouve une tristesse qui est comme un désespoir, une impossibilité à exister sans sa présence.

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