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Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.
Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.
Chère Mardi Noir,
Cela fait quelques années que je vois une psychologue. J'ai récemment changé de psy depuis deux mois à la suite d'un déménagement. J'ai l'impression d'avoir des difficultés à m'analyser et je me suis plusieurs fois demandé s'il était nécessaire de lire de la psychanalyse, Freud ou Lacan, pour m'y aider. Est-ce nécessaire?
Bien à vous,
Pierrick
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Cher Pierrick,
Votre blocage est-il dû au déménagement? Ou est-ce que ce mouvement, ce changement, vous a permis de vous rendre compte de cette «difficulté à vous analyser»?
Pour vous répondre, de but en blanc, non ce n'est absolument pas nécessaire de lire Freud ou Lacan pour mener une analyse ou un travail thérapeutique. Mais votre question m'interpelle. Soit vous brûlez d'envie d'en savoir plus et vous pensez, à raison, trouver d'autres réponses, d'autres pistes, dans les livres. Mais alors pourquoi cette question?
Vous êtes bien évidemment autorisé à lire un recueil de textes psychanalytiques. Vous risquez en effet d'apprendre deux ou trois choses en plus, ou bien de vous confronter à la langue opaque de Jacques Lacan, ce qui pourrait rendre les choses encore plus floues… ou au contraire, c'est l'illumination, vous n'attendiez qu'une définition de la pulsion et du phallus pour enfin vous mettre à la tâche ardue de l'analyse.
À vous lire –et je vous le concède votre mail est très court, donc je prends le parti de faire une interprétation sauvage de la raison de votre courrier, prenez-la avec des pincettes– je me permets de reformuler votre question: «Est-ce nécessaire de lire Freud ou Lacan pour vous aider à vous analyser?» en «Est-ce nécessaire de vous aider à vous analyser?».
Vous ressentez peut-être un peu de frustration de ne pas suffisamment vous comprendre, et vous commencez à vous demander comment accélérer un peu le processus, ce qui après quelques années, est légitime. Rien qu'en vous posant cette question, vous vous aidez un minimum.
Il arrive qu'en séance nous (je m'inclus en tant qu'analysante) soyons inquiets de ce que nous disons, que cette petite histoire qui est la nôtre sorte par bouts décousus, que les liens soient trop douloureux ou impossibles à faire; dans ces cas-là, la théorie peut venir faire office de défense supplémentaire. Que ce soit la théorie psychanalytique ou une autre.
On rationalise, on généralise, on donne des explications pour circonscrire ce qu'on raconte, mais cela n'aide pas forcément à mieux s'analyser; peut-être même qu'au contraire, cela contribue à se tenir à distance de ce qui nous agite. Voire, je me demande dans quelle mesure la théorie n'opère pas pour certains comme un pas de plus vers la résignation. Un truc dans le style: «Oh après tout, ça c'est mon symptôme, c'est comme ça, voici la définition du symptôme, allez vaille que vaille, je ne sais toujours pas comment le traiter.»
En fait, si lire Freud ou Lacan a pour vocation de seulement mettre des mots savants sur ce qui nous arrive, je ne suis pas sûre que cela serve à grand-chose, si ce n'est à habiller les problèmes de mots nouveaux, ce qui en soit n'est déjà pas si mal, ça fait office d'anxiolytique théorique. Cela dit, j'oublie que cela peut aussi avoir valeur d'étape, non négligeable: apprivoiser ce qui nous terrifie par la théorie.
Nous mettons parfois des années à entrer dans le vif du sujet, il faut d'abord tourner longtemps autour du pot, en dessinant des cercles de plus en plus petits pour se rapprocher de la chose, celle qui nous concerne. C'est une démarche de chercheur, mais attention à ne pas oublier ce que vous cherchiez au départ…
En revanche, lire Freud ou Lacan, ou d'autres auteurs et autrices, comme on lirait de la littérature, ça oui, je pense que cela peut avoir un intérêt pour sa propre cure. Des textes de psychanalyse j'en ai lu un paquet, et je mentirais si je disais que cela n'a rien changé à la direction de mon travail analytique. Ça m'a bien évidemment ouvert pas mal de portes qui se maintenaient fermées, ou qui peinaient à s'entrouvrir.
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Seulement, il y a une différence entre lire un texte pour la fac, pour les partiels, pour s'aider dans sa pratique, et découvrir au détour de sa lecture une phrase, parfois juste un bout de phrase, qui résonne pour nous. Je n'ai jamais lu un texte en entier en me disant ah bah voilà ça c'est moi. Non, ce sont des bribes, des mots en particulier, ce n'est même pas forcément le développement de l'idée qui m'a aidée à franchir mes difficultés, mais une formule par-ci par-là qui vient s'articuler à mon propre développement, comme si cela devenait une proposition dans mon texte à trous.
Ça peut aussi arriver en regardant un film ou en lisant un roman. Or, bien sûr, dans un texte de psychanalyse, les bribes ont moins de filtres que dans certains films ou romans, le texte est plus direct, ça cogne, ça secoue! À nous ensuite de se laisser percuter.
Alors cher Pierrick, je conclurais ainsi: si vous avez l'intuition que cela va vous intéresser ou piquer votre curiosité, allez-y! Si c'est pour faire le bon élève allez-y aussi, ça risque juste de ne pas tenir longtemps, ou au contraire, vous allez vous laisser surprendre, qui sait?
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