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Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.

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Bonjour Mardi Noir, bonjour l'équipe de Slate,

Qu'est-ce que la psychanalyse a à dire de l'homosexualité?

Je suis un homme gay de 24 ans. Je dirais que je l'accepte mieux mais qu'il reste du taf.

Parfois, j'ai ce côté pride, content d'être gay, dans le sens que c'est original, «hors-norme». Aussi, j'en suis content dans le sens que ça m'ouvre / ça m'a ouvert, d'office, à des combats liés au féminisme, au racisme, etc. (puisque plus touché par les sujets liés au genre ou aux minorités). Dernièrement, ça m'a endurci (par les moments mélancoliques, suicidaires aussi, les insultes, cacher ce secret, faire le «choix» d'en parler, etc.).

Mais à l'inverse, j'ai parfois l'autre pendant négatif. Le côté honteux, une sorte d'homophobie envers moi-même. C'est lourd à porter, je me force à adopter des comportements masculins (forcer ma voix, ne pas paraître efféminé), ne pas oser me montrer proche de mon copain dans la rue. En gros me haïr, me dégoûter pour ça.

Ces deux sentiments qui cohabitent, qui me font répondre tantôt oui, tantôt non, à la question «si tu pouvais claquer des doigts et être hétéro, tu le ferais?»

Ces deux sentiments qui font que parfois je me déteste, parfois j'aime bien. Et on deale comment avec ça? Est-ce que je suis seul à penser ça?

Merci d'avance,

Thomas

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Cher Thomas,

Votre question en comporte deux. L'une assez générale sur ce qu'a à dire la psychanalyse sur l'homosexualité et l'autre plus personnelle, sur votre propre rapport à l'homosexualité. Sans doute que votre première question mériterait une réponse à part, plus étayée, plus exhaustive que ce que je m'apprête à écrire. Et qui sait, ce sera peut-être l'objet d'un prochain article. Mais en attendant, vous pouvez toujours faire un tour du côté d'Une histoire érotique de la psychanalyse de Sarah Chiche ou encore de Queer psychanalyse de Fabrice Bourlez.

Déjà, je ne vais pas faire semblant, il y a quelque chose d'embarrassant dans cette question. Après, est-ce que cet embarras a trait à la psychanalyse en particulier ou est-ce que cet embarras est le fruit d'un embarras qui touche la société? Il est vrai que pendant toute une période, la question des psychanalystes homosexuels posait problème, sur fond de société profondément homophobe. Un peu comme si ça disait: «Recevoir des homosexuels est une chose, de là à avoir des confrères homosexuels... faut pas pousser.» Fort heureusement, les choses évoluent.

Je me souviens de la question qu'avait posée Paul B. Preciado (qui se définit comme philosophe trans non-binaire) à l'assemblée de psychanalystes réunis au Palais des Congrès, Porte Maillot à Paris, pour une journée de l'association de l'École de la cause freudienne. Cette question, la voici: «Où sont les psychanalystes homosexuels dans la salle, peuvent-ils lever la main?»

Cette question cristallise, à mon sens, tout l'embarras possible que suscite la mise en avant d'une identité au détriment d'une autre. Au fond, ça rejoint aussi votre question personnelle.

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Oui, beaucoup de psychanalystes ont tenu des propos homophobes, notamment durant le passage de la loi sur le «mariage pour tous». Oui, l'État a discriminé les personnes homosexuelles, les faisant passer à travers les époques pour déviantes, criminelles, malades. Oui, la société (famille, école, culture, armée, sport, etc.) n'a pas toujours pleinement intégré l'idée que les personnes homosexuelles sont les égales des personnes hétérosexuelles, voire pense qu'elles ne méritent pas d'être traitées dignement au même titre que les autres. Tout ceci est vrai.

Dans un tel contexte, je peux comprendre la question de Paul B. Preciado qui voudrait dans un moment de progressisme absolu qu'une foule de psychanalystes lesbiennes, gay ou trans se lèvent, en brandissant le poing, et affirment haut et fort leurs identités minoritaires. Sauf que les psychanalystes ne font pas ça. En tout cas, dans leur écrasante majorité. Pour la simple et bonne raison qu'ils ne se drapent pas d'une identité, d'une image, d'une signification commune.

Notre travail est tout l'inverse. Il est d'aller chercher dans le singulier le plus singulier, ce qui nous parle, nous cause, nous permet d'être un sujet. Si l'homosexualité est mentionnée, c'est parce qu'elle prend alors une valeur singulière pour le sujet.

Ce jour-là, au Palais des Congrès, de mémoire, personne n'a levé la main. Est-ce à dire qu'il n'y avait pas d'homosexuels dans la salle? Est-ce à dire que ceux qui y étaient avaient honte? Il faudrait bien évidemment leur poser la question. De mon point de vue, j'ose espérer que ce silence à cette question signifiait plutôt que ça n'était pas la question, que nous n'étions pas à un meeting militant. Au même titre que je juge non bienvenu les prises de positions opposées au mariage homosexuel de la part de certains, au nom de leur qualité de psychanalyste, dans la presse.

J'en reviens à Sigmund Freud. Bien sûr que ça l'a intéressé l'homosexualité, «l'inversion» comme elle était alors nommée à l'époque; classée parmi les déviances sexuelles. Qu'est-ce que Freud avait à dire sur ce qui fait partie des perversions? Je rappelle que tout ceci relève de la classification, elle-même faite par des êtres humains pris dans une culture et un temps donné. On classe par rapport à nos croyances, notre morale, notre religion, la science d'une époque, etc. Ce ne sont pas, bien évidemment, des vérités essentielles.

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Bon, eh bien Freud a déployé l'idée que la perversion concerne tout être humain, que l'enfant est un pervers polymorphe. Il s'est fondé sur la définition de la perversion donnée à cet instant-là: tout ce qui dévie d'un rapport sexuel visant la reproduction. Au fond, tout ce qui nous fait jouir en dehors d'un but reproducteur d'espèce. Cela fait un paquet de situations!

Dans le même temps, il s'est posé la question d'une bisexualité psychique, qui serait plus ou moins refoulée. En fait, nous serions tous attirés par les deux sexes et un choix inconscient opérerait dans l'élection d'un objet privilégié. Cette histoire de choix est à double tranchant, parce que bien sûr il ne s'agit pas d'instrumentaliser cette théorie à des fins homophobes ou politiques, avec la croyance qu'une thérapie de conversion est possible ou souhaitable, dans un sens comme dans l'autre.

Le choix en psychanalyse, ce n'est pas le choix entre tel ou tel parfum de glace. L'opération est complexe et inconsciente, c'est plus une façon de dire, à la fois, qu'il n'y a pas de prédestination et que le singulier est au centre des préoccupations psychanalytiques.

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Pour la partie plus personnelle de votre question, je pense avoir esquissé ce que je vais vous répondre. Il ne s'agit pas de nier les difficultés matérielles réelles que rencontrent les personnes issues de minorités. Et les combats militants et citoyens sont là pour améliorer les choses.

Par ailleurs, d'un point de vue psychique, la fonction militante peut très bien avoir une utilité pour un sujet. Mais, encore une fois, du point de vue de la psyché, ce qui vaut pour un sujet ne vaut pas pour tous. Aller à la marche des fiertés peut permettre de faire communauté, de se sentir soutenu, d'être pour un temps dans l'illusion d'une fierté qui transcenderait toute honte. Et pourtant, comme vous le dites, la honte repointe le bout de son nez. C'est de ça dont je parlais quand j'évoquais la question de Paul B. Preciado, cette idée que se draper des apparats imaginaires d'une communauté discriminée viendrait comme un étendard à brandir en toute occasion.

C'est à mon avis une illusion qui a ses qualités, mais qui ne résout pas la question de fond, à savoir: la souffrance, le «manque à être», les difficultés existentielles des uns et des autres. Oui, la dignité se conquiert dans la rue, mais elle se conquiert aussi dans l'intimité, dans l'écoute de sa subjectivité, dans l'émancipation des assignations identitaires.

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«Qu'est-ce que la psychanalyse a à dire de l'homosexualité?»

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21.12.2023

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Je suis un homme gay de 24 ans. Je dirais que je l'accepte mieux mais qu'il reste du taf.

Parfois, j'ai ce côté pride, content d'être gay, dans le sens que c'est original, «hors-norme». Aussi, j'en suis content dans le sens que ça m'ouvre / ça m'a ouvert, d'office, à des combats liés au féminisme, au racisme, etc. (puisque plus touché par les sujets liés au genre ou aux minorités). Dernièrement, ça m'a endurci (par les moments mélancoliques, suicidaires aussi, les insultes, cacher ce secret, faire le «choix» d'en parler, etc.).

Mais à l'inverse, j'ai parfois l'autre pendant négatif. Le côté honteux, une sorte d'homophobie envers moi-même. C'est lourd à porter, je me force à adopter des comportements masculins (forcer ma voix, ne pas paraître efféminé), ne pas oser me montrer proche de mon copain dans la rue. En gros me haïr, me dégoûter pour ça.

Ces deux sentiments qui cohabitent, qui me font répondre tantôt oui, tantôt non, à la question «si tu pouvais claquer des doigts et être hétéro, tu le ferais?»

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Thomas

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