Temps de lecture: 3 min

Notre histoire commence un soir d'août 1848, parmi les tombes du cimetière du Sud, dans le quartier du Montparnasse, à Paris. La nuit est agréable, enveloppée par la chaleur morte qui émane des sépultures exposées au soleil tout le jour durant. Dans ce désert de pierre, rien ne bouge… ou presque. Une silhouette, difficile à départager de la pénombre, rôde parmi les ombres: elle s'agenouille près d'une tombe encore fraîche, une lame à la main. Quelque temps plus tard, son méfait accompli, elle saute le mur d'enceinte et se mêle aux ténèbres.

Le lendemain, les gardiens du cimetière du Montparnasse découvrent, médusés, la dépouille d'une jeune femme affreusement mutilée. Son cadavre, inhumé quelques jours plus tôt, a été déterré à la hâte pendant la nuit. «Après avoir fait sauter les planches qui fermaient la bière, [le coupable] en a retiré le corps, a ouvert l'abdomen à l'aide d'un instrument tranchant, et a retiré les intestins, qu'il a jetés dans un massif d'arbustes», rapporte, répugné, un journaliste du Siècle.

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Dépêchée sur les lieux, la police constate qu'on a pratiqué sur la victime des actes de nécrophilie. Il faut donc redoubler de vigilance. Les gardiens sont chargés d'ouvrir l'œil –et le bon– pendant leurs rondes.

Malgré les consignes des autorités, celui que la presse surnomme désormais «le vampire du Montparnasse» continue de pratiquer ses promenades obscènes en toute impunité. Au cours des semaines suivantes, on découvre d'autres corps, relevés des caveaux du Montparnasse, du Père-Lachaise ou d'autres nécropoles parisiennes. La plupart des victimes sont de jeunes femmes, enterrées récemment. Surtout, ce qui inquiète la population, c'est que le coupable continue à tromper la vigilance des fossoyeurs et des sentinelles… tout en laissant libre cours à ses pulsions malsaines.

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Après plusieurs mois d'une traque infructueuse, il est décidé d'installer, le long de la rue Froidevaux, près du mur d'enceinte du cimetière, «un cordon de machines infernales très rapprochées». Il s'agit d'armes à feu dont la détente est amorcée sur un simple fil de fer: le passage clandestin d'un intrus suffira à actionner le mécanisme.

Dans la nuit du 15 au 16 mars 1849, le vampire du Montparnasse tombe dans le piège. Déchiré par une salve de mitraille, il se réfugie à l'hôpital du Val-de-Grâce où, incapable d'offrir une justification crédible à ses blessures, il se confesse à son chirurgien. L'individu est alors appréhendé par la police: il s'agit de François Bertrand, un sergent de l'armée française sans histoires, âgé de 25 ans au moment des faits.

Une vue d'artiste du sergent François Bertrand publiée dans la revue Détective datée du 3 septembre 1936. | Auteur anonyme via Wikimedia Commons

L'enquête qui s'ensuit révèle un parcours accablant. Après une enfance solitaire et rurale du côté de la Haute-Marne, le jeune homme assouvit ses pulsions sadiques sur des cadavres d'animaux, dénichés dans la forêt: chevaux, chats, chiens, moutons… De la bête à l'homme, il n'y a qu'un pas, franchi lors de l'une de ses affectations militaires.

N'y tenant plus, il déterre un corps à la main, grattant la terre jusqu'au sang. «Les renseignements fournis sur Bertrand sont loin de lui être favorables, lit-on dans La Gazette du 25 mars 1849. Dans la plupart des villes où il a été en garnison, notamment à Tours, Strasbourg et Metz, les cimetières ont été profanés avec des circonstances à peu près semblables à celles du cimetière Montparnasse.»

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Passé le temps de l'inquiétude, les Parisiens sombrent dans la stupeur: comment expliquer le passe-temps abominable du «sergent nécrophile»? À l'époque, les pratiques sexuelles dont il s'est rendu coupable sont absentes des traités médicaux, comme des textes de loi. Faute de mieux, son cas est rangé dans celui de la «folie» ou de la «déviance» macabre. Bénéficiant de cette zone grise juridique, le vampire du Montparnasse écope –seulement– d'un an de prison pour «violation nocturne de sépultures», au nom de l'article 360 du code pénal. Et ce, bien que l'accusation le soupçonne d'avoir mutilé des dizaines de cadavres.

Une fois sa peine purgée, François Bertrand réintègre l'armée au sein du 2e bataillon d'infanterie légère d'Afrique, en Algérie. L'épilogue de sa vie se veut plus discret. Le sergent quitte l'uniforme, puis se marie au Havre, en 1856, sans faire de vagues. Du moins jusqu'à ce que, dans les années 1860, deux nouvelles violations de sépultures soient constatées dans un cimetière local… Après avoir remué beaucoup de terre, François Bertrand s'y réfugie finalement en 1878. Aux dernières nouvelles, le vampire dort toujours parmi les morts.

QOSHE - En 1848, un vampire plus vrai que nature a terrorisé Paris - Nicolas Méra
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En 1848, un vampire plus vrai que nature a terrorisé Paris

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19.11.2023

Temps de lecture: 3 min

Notre histoire commence un soir d'août 1848, parmi les tombes du cimetière du Sud, dans le quartier du Montparnasse, à Paris. La nuit est agréable, enveloppée par la chaleur morte qui émane des sépultures exposées au soleil tout le jour durant. Dans ce désert de pierre, rien ne bouge… ou presque. Une silhouette, difficile à départager de la pénombre, rôde parmi les ombres: elle s'agenouille près d'une tombe encore fraîche, une lame à la main. Quelque temps plus tard, son méfait accompli, elle saute le mur d'enceinte et se mêle aux ténèbres.

Le lendemain, les gardiens du cimetière du Montparnasse découvrent, médusés, la dépouille d'une jeune femme affreusement mutilée. Son cadavre, inhumé quelques jours plus tôt, a été déterré à la hâte pendant la nuit. «Après avoir fait sauter les planches qui fermaient la bière, [le coupable] en a retiré le corps, a ouvert l'abdomen à l'aide d'un instrument tranchant, et a retiré les intestins, qu'il a jetés dans un massif d'arbustes», rapporte, répugné, un journaliste du Siècle.

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