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Mercredi 15 novembre, à San Francisco (Californie), une vingtaine de chefs d'État se pressaient au forum annuel de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC). Ce jour-là, Xi Jinping et Joe Biden, les dirigeants chinois et américain, se sont éloignés à une quarantaine de kilomètres pour se retrouver pendant près de trois heures dans un vaste domaine situé à Woodside. Il s'agissait de faire le point sur les différends économiques et diplomatiques qui se sont accumulés entre leurs deux pays ces dernières années.

Quelques décisions ont été annoncées après cette rencontre entre les leaders des deux principales économies de la planète. La communication entre les plus hauts gradés des armées américaines et chinoises va être relancée et la lutte contre le trafic de drogue va être renforcée. Surtout, il a été convenu que le dialogue se poursuive entre les deux chefs d'État. La Chine, qui connaît un net ralentissement de son économie, et les États-Unis, très impliqués dans la gestion des conflits en Ukraine et au Proche-Orient, n'ont aucun intérêt à ce que les tensions sino-américaines évoluent vers un véritable conflit.

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Dans ce contexte, la guerre actuelle entre Israël et le Hamas n'a fait l'objet que d'un «échange de vue» entre Joe Biden et Xi Jinping et n'a donné lieu à aucun compte rendu. Le service de presse du président américain a seulement fait savoir que la question avait été abordée au cours du déjeuner. Le 9 novembre, des hauts responsables américains révélaient que Joe Biden avait l'intention de dire à Xi Jinping que les États-Unis souhaitaient que la Chine indique clairement à l'Iran, pays avec lequel elle a des relations croissantes, de ne pas chercher à intensifier ou répandre la violence au Proche-Orient. Le message a sans doute été transmis et il est fort possible qu'il corresponde à ce que la diplomatie chinoise répète à Téhéran.

Cependant, l'attaque du Hamas et la réplique israélienne à Gaza ont amené Pékin à faire des choix. Après le massacre du 7 octobre, les dirigeants chinois ont vite compris qu'Israël allait réagir militairement et que, dans ces conditions, proposer d'organiser un arbitrage avec le Hamas n'était pas envisageable. Dans un autre contexte, la Chine avait tenté, en mai 2021, de promouvoir des pourparlers entre Israéliens et Palestiniens. La démarche n'avait pas rencontré le moindre succès.

Depuis une dizaine d'années, un rapprochement entre Israël et la Chine a été fortement soutenu par l'intensification des relations économiques entre les deux pays. Mais pour Pékin, il n'est visiblement pas nécessaire de poursuivre dans cette voie. Que ce soit l'ouverture aux investissements chinois du nouveau port de containers de Haïfa (nord d'Israël) ou, côté israélien, les ventes d'armements ainsi que les nombreuses start-up de pointe, tout cela ne semble pas prioritaire vu de Pékin. Dans la phase actuelle, il est plus important, pour la politique étrangère chinoise, de se ranger aux côtés des pays arabes qui dénoncent l'entrée de l'armée israélienne dans la bande de Gaza.

Forte de cette logique, la presse officielle chinoise parle désormais de «la juste cause des Palestiniens», en même temps que le ministère des Affaires étrangères réaffirme que la Chine est favorable à la mise en place d'un État palestinien aux côtés d'Israël. Par ailleurs, Pékin s'abstient de condamner les massacres commis par le Hamas le 7 octobre. Un diplomate chinois, Zhai Jun (envoyé spécial du gouvernement chinois sur la question du Moyen-Orient), a attendu cinq jours avant d'exprimer sa «sympathie aux familles endeuillées». Et le 19 octobre, Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, a affirmé que «ce qui est crucial, c'est que le peuple palestinien a de tout temps été victime d'une injustice».

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Aujourd'hui, la Chine considère officiellement qu'Israël dépasse le domaine de l'autodéfense en intervenant militairement dans la bande de Gaza. D'autre part, au Conseil de sécurité de l'ONU, le 25 octobre, Pékin a opposé son veto à une résolution américaine qui défendait «le droit de tous les États à l'autodéfense». Elle a préféré s'associer à un projet de résolution proposé par la Russie qui appelait à un «cessez-le-feu immédiat» dans la bande de Gaza. Ce projet a été repoussé par les pays occidentaux –deux votes contre (États-Unis et Royaume Uni) et neuf abstentions (Albanie, Brésil, Équateur, France, Ghana, Japon, Malte, Mozambique et Suisse)–, car il s'abstenait de nommer le Hamas et de condamner son attaque du 7 octobre.

Par ces prises de position, la Chine entend montrer qu'elle appuie le point de vue des pays arabes du Proche et du Moyen-Orient, qui évitent généralement de parler de l'attaque du 7 octobre et préfèrent vigoureusement condamner la réplique israélienne. Les dirigeants arabes tiennent ainsi compte des réactions de leurs populations, qui semblent majoritairement soutenir le Hamas. Tandis que pour la Chine, montrer une proximité avec la population arabe permet de rester proche de cette catégorie des pays du Sud dont elle entend rester proche. De plus, affirmer une proximité avec le monde arabe permet à la Chine de se différencier des États-Unis, traditionnellement proches d'Israël.

Depuis une vingtaine d'années, les contacts de la Chine avec les pays arabes ainsi qu'avec l'Iran se sont grandement développés. Elle est devenue le principal partenaire économique des pays du Moyen-Orient, en intervenant dans de grands projets de modernisation d'infrastructures. Mais surtout, une grande partie du pétrole dont la Chine a besoin vient de cette région du monde.

Certes, depuis la guerre en Ukraine, c'est d'abord à la Russie que le pays de Xi Jinping achète près de 9 millions de tonnes de pétrole par mois. Mais elle se fournit aussi en Arabie saoudite, en Irak, à Oman ou encore dans les Émirats arabes unis. Par ailleurs, en 2022, la Chine a établi avec l'Iran un «partenariat stratégique» pour une durée de vingt-cinq ans. Cet accord, qui contourne les sanctions mises en place par les États-Unis envers l'Iran, garantit à la Chine la fourniture quotidienne d'un million de barils de pétrole.

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Fort de ce poids grandissant au Moyen-Orient, Pékin a démontré ses possibilités d'actions diplomatiques en mars dernier, en faisant aboutir la reprise de relations entre l'Iran et l'Arabie saoudite, deux pays qui étaient en conflit depuis environ sept ans.

L'importance des relations économiques sino-arabes et, désormais, les prises de position du gouvernement chinois en faveur du monde arabe trouvent toutes sortes d'illustrations en Chine. Sur les cartes disponibles sur les principales plateformes du web chinois, comme Baidu ou Gaode, le nom «Israël» n'apparaît plus et ni «Tel-Aviv» ni «Jérusalem» ne sont en gras, contrairement aux capitales des autres pays du Proche-Orient.

Quant au tracé qui correspond aux frontières d'Israël, ces cartes reprennent celui que l'ONU avait établi en 1947, avant que la superficie du pays ne soit agrandie à la suite de plusieurs guerres. Ces absences sont-elles intentionnelles? Ou bien s'agit-il d'un manque de rigueur? Dans le contexte actuel, des journaux israéliens se sont émus de la diffusion de ces documents géographiques.

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Plus étonnant, toujours sur les réseaux sociaux chinois et les plateformes de streaming, il y a depuis peu une multiplication de propos antisémites. Cela va de menaces contre «ceux qui défendent les actions d'Israël» à la mise en doute du récit de la Shoah dans La Liste de Schindler, film réalisé en 1993 par Steven Spielberg et actuellement diffusé en Chine. Sur Weibo, une discussion a aussi été lancée sur «la manière disproportionnée» dont les juifs contrôleraient les médias américains.

L'ambassade d'Allemagne en Chine a estimé nécessaire de répliquer aux messages apparus sur le net chinois et a écrit que «celui qui met côte à côte les drapeaux d'Israël et de l'Allemagne nazie est soit un idiot complet, soit un salaud éhonté». Un département d'information du ministère chinois des Affaires étrangères a répondu que les mots employés par l'ambassade d'Allemagne montraient «un manque d'éducation».

En Chine, où la surveillance des médias et du web est particulièrement vigilante, toutes ces déclarations à connotation antisémites pourraient être rapidement effacées. Or, ce n'est pas le cas. Ce qui amène à penser qu'en laissant se répandre des sentiments antijuifs, les dirigeants chinois veulent indiquer que la population est résolument du côté de la cause arabe. Cela alors que, depuis toujours, l'antisémitisme est quasi inconnu en Chine.

Dans cette politique de rapprochement avec les pays arabes, la Chine a réussi à faire totalement oublier les persécutions qu'elle pratique à l'encontre de la minorité musulmane ouïghoure dans la province du Xinjiang, dans l'est du pays. Seuls certains pays occidentaux protestent régulièrement contre la très stricte surveillance des Ouïghours et contre les très nombreux emprisonnements et séances de «rééducation» qu'ils subissent. Autant de pratiques que le gouvernement chinois refuse de reconnaître.

L'important pour la Chine est aujourd'hui de signifier son soutien au monde arabe. C'est également ce que fait Vladimir Poutine. La Russie a une politique ancienne de contact avec le Proche-Orient qui se traduit, par exemple, depuis quatre ou cinq ans, par un réel soutien militaire au régime syrien de Bachar el-Assad. Aujourd'hui les États-Unis et l'Europe suivent de près ce qu'il se passe en Israël et dans la bande de Gaza. Dès lors, Vladimir Poutine estime que l'Occident va moins se préoccuper de la guerre en Ukraine.

Quant à la Chine, elle peut bénéficier de la connaissance du monde arabe que son allié russe a acquise depuis longtemps, y compris en soutenant militairement le régime de Hafez el-Assad en Syrie (1971-2000). Et au-delà de la période actuelle, la Chine peut espérer que sa puissance économique lui permettra d'être présente et active dans des négociations internationales qui viseraient à rétablir la paix dans cette région du monde.

Mais l'heure n'est pas, ni pour la Chine ni pour d'autres pays, à une action diplomatique. En attendant, à Pékin, on pourrait méditer sur les Mémoires de guerre du général De Gaulle, qui ont depuis longtemps été traduites en chinois. Dans le chapitre «L'Orient», il écrivait: «Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples». Cette partie concernait le départ vers le Proche-Orient, en 1929, de Charles de Gaulle, affecté à l'état-major des troupes du Levant à Beyrouth. Elle n'a pas perdu son actualité.

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Pourquoi la Chine adopte une position de plus en plus pro-palestinienne

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21.11.2023

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Mercredi 15 novembre, à San Francisco (Californie), une vingtaine de chefs d'État se pressaient au forum annuel de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC). Ce jour-là, Xi Jinping et Joe Biden, les dirigeants chinois et américain, se sont éloignés à une quarantaine de kilomètres pour se retrouver pendant près de trois heures dans un vaste domaine situé à Woodside. Il s'agissait de faire le point sur les différends économiques et diplomatiques qui se sont accumulés entre leurs deux pays ces dernières années.

Quelques décisions ont été annoncées après cette rencontre entre les leaders des deux principales économies de la planète. La communication entre les plus hauts gradés des armées américaines et chinoises va être relancée et la lutte contre le trafic de drogue va être renforcée. Surtout, il a été convenu que le dialogue se poursuive entre les deux chefs d'État. La Chine, qui connaît un net ralentissement de son économie, et les États-Unis, très impliqués dans la gestion des conflits en Ukraine et au Proche-Orient, n'ont aucun intérêt à ce que les tensions sino-américaines évoluent vers un véritable conflit.

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Dans ce contexte, la guerre actuelle entre Israël et le Hamas n'a fait l'objet que d'un «échange de vue» entre Joe Biden et Xi Jinping et n'a donné lieu à aucun compte rendu. Le service de presse du président américain a seulement fait savoir que la question avait été abordée au cours du déjeuner. Le 9 novembre, des hauts responsables américains révélaient que Joe Biden avait l'intention de dire à Xi Jinping que les États-Unis souhaitaient que la Chine indique clairement à l'Iran, pays avec lequel elle a des relations croissantes, de ne pas chercher à intensifier ou répandre la violence au Proche-Orient. Le message a sans doute été transmis et il est fort possible qu'il corresponde à ce que la diplomatie chinoise répète à Téhéran.

Cependant, l'attaque du Hamas et la réplique israélienne à Gaza ont amené Pékin à faire des choix. Après le massacre du 7 octobre, les dirigeants chinois ont vite compris qu'Israël allait réagir militairement et que, dans ces conditions, proposer d'organiser un arbitrage avec le Hamas n'était pas envisageable. Dans un autre contexte, la Chine avait tenté, en mai 2021, de promouvoir des pourparlers entre Israéliens et Palestiniens. La démarche n'avait pas rencontré le moindre succès.

Depuis une dizaine d'années, un rapprochement entre Israël et la Chine a été fortement soutenu par l'intensification des relations économiques entre les deux pays. Mais pour Pékin, il n'est........

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