Temps de lecture: 5 min

Une surprise de taille a bousculé l'actualité politique américaine mardi 19 décembre 2023. La Cour suprême du Colorado a disqualifié Donald Trump de l'élection présidentielle 2024 dans l'État, plus précisément de la primaire républicaine, jugeant que sa tentative de renverser le résultat de l'élection présidentielle 2020 et son influence sur l'attaque du Capitole le 6 janvier 2021 entraînent son inéligibilité.

Pour rendre cette décision historique et inédite, elle s'est appuyée sur la section 3 du quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis, relative à l'inéligibilité en cas de participation à une insurrection d'un responsable politique qui a prêté serment.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

Cette interprétation rejoint celle de William Baude et Michael Stokes Paulsen, les deux professeurs réputés de droit constitutionnel conservateurs affiliés à la Federalist Society, qui ont été les premiers à émettre l'idée que l'ancien président n'est plus éligible à la présidence –entraînant par la suite des recours dans plusieurs États, et notamment dans le Colorado, de citoyens et/ou associations.

L'annonce de cette disqualification dans le Colorado nous rappelle une nouvelle fois que la présidentielle américaine à venir pourrait bien se jouer avant tout dans les tribunaux, et notamment à la Cour suprême.

Que ce soit à New York pour déclarations frauduleuses de la Trump Organization et fraude comptable dans l'affaire dite «Stormy Daniels», en Floride pour rétention de documents classifiés dans sa résidence de Mar a Lago après son départ de la Maison-Blanche, en Géorgie pour sa tentative de renverser le résultat de l'élection 2020 dans l'État, ou encore à Washington D.C. pour l'ensemble de son œuvre post-élection 2020, Donald Trump est cerné par les procès.

Il ne risque l'inéligibilité dans aucun d'entre eux, mais des amendes importantes et des peines de prison pourraient être prononcées par la justice. À cela s'ajoute la médiatisation de ces procédures, et leur possible impact sur sa campagne électorale.

À Washington, le début du procès fédéral pour avoir tenté de manipuler les résultats et favorisé l'assaut contre le Capitole est prévu le 4 mars 2024, soit la veille du Super Tuesday, la journée marathon des primaires. L'éventualité qu'un verdict tombe avant la grande messe électorale de novembre 2024 est donc forte, ce qui pousse logiquement Donald Trump à faire tout son possible pour repousser au maximum l'échéance afin de ne pas être handicapé avant l'élection.

Ses avocats ont ainsi avancé qu'un ancien président possède une immunité contre les poursuites fédérales pour des crimes présumés commis lors de sa présidence. La juge fédérale Chutkan a conclu que non, mais la défense a fait appel de cette décision, ce qui pourrait retarder le procès. Le procureur Jack Smith, qui mène la charge contre Trump, a donc tenté un coup: envoyer le cas devant la Cour suprême pour qu'elle tranche directement la question afin de sauter le passage devant une Cour d'appel et éviter une perte de temps.

Sauf que la plus haute juridiction du pays n'a pas accepté la requête, laissant le champ libre à la Cour d'appel, qui se prononcera donc dans le courant du mois de janvier. Le cas se représentera devant la Cour suprême ensuite. Mais un report du procès à Washington pourrait entraîner le maintien de la date de début du procès à New York, l'affaire Stormy Daniel, prévu pour le 25 mars. C'est donc une partie de Tetris judiciaire qui débute.

À LIRE AUSSI

L'IVG déjà de retour devant la Cour suprême américaine

Et ce n'est pas tout, puisque la Cour suprême va se prononcer aussi dans les mois prochains sur une affaire qui a un lien indirect avec l'ex-président. Elle devra en effet déterminer si une loi fédérale visant à punir les personnes qui tentent de faire obstruction à une procédure officielle peut être utilisée dans le cas d'un assaillant du 6 janvier (qui conteste son utilisation). Une loi également mise en avant par le procureur Jack Smith dans l'acte d'accusation de Donald Trump à Washington.

Comme nous l'avons vu en introduction, l'éligibilité du milliardaire new yorkais est contestée dans le Colorado. Dans la foulée de la décision de la Cour suprême locale, l'ancien président a, sans surprise, annoncé son intention de faire appel auprès de la Cour suprême, qui va donc devoir déterminer directement ou indirectement son avenir politique.

Soit elle refuse de se saisir du cas, et la décision de la Cour suprême du Colorado s'applique, soit elle accepte pour se prononcer sur le fond et/ou sur la forme. Et il se pourrait bien qu'elle choisisse la seconde option et donne son interprétation de la section 3 du quatorzième amendement (relative à l'inéligibilité en cas de participation à une insurrection ou une rébellion) qui est au cœur de cette affaire.

Si elle s'en saisit, Donald Trump et ses avocats vont tenter de faire tomber le raisonnement de la Cour suprême du Colorado en axant très probablement leur argumentaire autour de deux points. Premièrement, l'ancien président va rappeler qu'il n'a jamais été condamné pour avoir pris part à une insurrection.

Deuxièmement, que la section 3 du quatorzième amendement ne concerne pas le président car elle ne le mentionne pas directement, contrairement à d'autres élus. Le texte de cette section s'ouvre en effet par ces mots: «Nul ne sera sénateur ou représentant au Congrès, ou électeur des président et vice-président, ni n'occupera aucune charge civile ou militaire du gouvernement des États-Unis ou de l'un quelconque des États...»

Mais cette section précise que l'inéligibilité peut frapper aussi celui qui a prêté serment en tant que «officer of the United States» (fonctionnaire des États-Unis). La Cour suprême du Colorado a ainsi estimé que le président en est un, raison pour laquelle elle a prononcé la disqualification. Cependant, cela ne fait pas l'unanimité chez les spécialistes de droit constitutionnel américain, qui se divisent donc en deux camps. Ceux qui s'opposent à cette interprétation avancent notamment qu'un «officer» est nommé et non élu.

Comme en 2000, lorsqu'elle a désigné George W. Bush vainqueur face à Al Gore, la Cour suprême pourrait donc être amenée une nouvelle fois à orienter directement le destin d'un candidat à l'élection présidentielle. Et pas n'importe lequel: celui qui a tout tenté pour rester au pouvoir alors même qu'il avait perdu.

Alors que plusieurs sondages donnent Donald Trump devant Joe Biden tandis que d'autres avancent l'inverse, il semble que l'on se dirige à nouveau vers un scrutin plus qu'incertain. Si les déboires judiciaires de l'ancien président soudent sa base électorale, un verdict de culpabilité dans l'un des procès à venir pourrait mettre sa candidature à mal.

À LIRE AUSSI

La guerre Israël-Hamas plombe le Parti démocrate à un an de la présidentielle américaine

En effet, certaines enquêtes d'opinion montrent que cela aurait un impact significatif et négatif sur sa performance en novembre 2024, en l'éloignant notamment de l'électorat indépendant dont on sait qu'il est essentiel pour accéder à la Maison-Blanche.

Au-delà des conséquences judiciaires, la tenue et l'issue de ces différents procès sont un élément clé de la prochaine élection présidentielle américaine. L'année 2024 s'annonce donc plus que mouvementée et nécessitera une attention particulière sur l'évolution de toutes ces procédures. De fait les observateurs évoquent déjà une campagne électorale inédite, et ils ont raison: l'histoire s'écrit devant nous.

QOSHE - Présidentielle 2024: Donald Trump contre les tribunaux - Théo Laubry 
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Présidentielle 2024: Donald Trump contre les tribunaux

6 1
28.12.2023

Temps de lecture: 5 min

Une surprise de taille a bousculé l'actualité politique américaine mardi 19 décembre 2023. La Cour suprême du Colorado a disqualifié Donald Trump de l'élection présidentielle 2024 dans l'État, plus précisément de la primaire républicaine, jugeant que sa tentative de renverser le résultat de l'élection présidentielle 2020 et son influence sur l'attaque du Capitole le 6 janvier 2021 entraînent son inéligibilité.

Pour rendre cette décision historique et inédite, elle s'est appuyée sur la section 3 du quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis, relative à l'inéligibilité en cas de participation à une insurrection d'un responsable politique qui a prêté serment.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

Cette interprétation rejoint celle de William Baude et Michael Stokes Paulsen, les deux professeurs réputés de droit constitutionnel conservateurs affiliés à la Federalist Society, qui ont été les premiers à émettre l'idée que l'ancien président n'est plus éligible à la présidence –entraînant par la suite des recours dans plusieurs États, et notamment dans le Colorado, de citoyens et/ou associations.

L'annonce de cette disqualification dans le Colorado nous rappelle une nouvelle fois que la présidentielle américaine à venir pourrait bien se jouer avant tout dans les tribunaux, et notamment à la Cour suprême.

Que ce soit à New York pour déclarations frauduleuses de la Trump Organization et fraude comptable dans l'affaire dite «Stormy Daniels», en Floride pour rétention de documents classifiés dans sa résidence de Mar a Lago après son départ de la Maison-Blanche, en Géorgie pour sa tentative de renverser le résultat de l'élection 2020 dans l'État, ou encore à Washington D.C. pour l'ensemble de son........

© Slate


Get it on Google Play