Temps de lecture: 3 min

«Enquêter.» C'est sur ce verbe que décide d'insister la vidéo d'appel à soutien à Spark. Un choix de vocabulaire d'autant plus judicieux qu'il peut d'abord surprendre quand on sait qu'il s'agit du nouveau projet de l'équipe qui se trouvait précédemment derrière «Tracks», programme télé culte consacré aux cultures hors normes. Programme toujours surprenant, justement. Mais en décembre 2022, Arte a brutalement licencié l'ensemble de la rédaction, un quart de siècle après son lancement en 1997.

De fait, le souvenir laissé par «Tracks» évoque moins le mot «enquête» que d'autres tels que «fou», «fascinant», «inspirant», «beau», «bizarre», «libre». Oui, ce sont plutôt ces termes qui viennent à l'esprit quand on repense à «Tracks» et au monde infiniment créatif que l'émission offrait à nos yeux et à nos oreilles.

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C'est que l'habitude médiatique réserve le champ lexical de l'enquête ou de l'investigation au domaine politique, criminel, financier (n'allons certainement pas jusqu'à en déduire un lien entre ces trois univers). Quant au journalisme culturel, il est souvent cantonné, lui, à faire de la «critique», au mieux, et de la promotion prémâchée, au pire.

Un rôle restreint, pour ne pas dire ingrat, fort éloigné de la vision du journalisme culturel prôné par David Combe, ancien rédacteur en chef de «Tracks» et désormais membre actif du collectif à l'origine de Spark. Pour lui, le journalisme culturel est bel et bien un journalisme d'enquête, puisqu'il s'agit d'abord «d'un travail qui demande du temps et de la curiosité».

C'est pourquoi, nous précise-t-il, la somme récoltée grâce à la campagne de financement participatif (toujours en cours, et à retrouver ici) servira avant tout «à payer ceux qui font, c'est-à-dire les techniciens et les pigistes».

Rien de plus naturel, pourrait-on croire, et pourtant non. La ligne éditoriale et financière que veut faire perdurer Spark est aujourd'hui aussi hors normes que les objets culturels découverts dans «Tracks» pendant vingt-cinq ans. Les réseaux sociaux imposant leurs règles aux médias, journalistes et techniciens n'ont plus le temps d'être curieux; ils doivent produire vite et, comme le réclame toute offre d'emploi du milieu, avoir des compétences SEO. Autrement dit: s'adresser aux algorithmes. Les gens viennent après.

À cette logique robotique «qui nous enferme dans des bulles, notamment culturelles», David Combe et l'équipe de Spark veulent opposer «le bordel» inhérent à l'esprit «Tracks». En agrégeant, grâce au financement participatif, une communauté diversifiée, et en parlant «de toutes les cultures». Pour dénicher des perles de l'étrange, pour ne pas se limiter à en rapporter l'existence mais «en donner les clés». Ce qui demande en effet de la curiosité et du temps. De l'enquête.

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Pour cela, et afin de produire une saison entière de programmes, l'objectif de la campagne de crowdfunding de Spark est fixé à 100.000 euros, soit quasiment le prix d'un seul épisode (80.000 euros, contenus web inclus) lorsque l'émission était portée par Arte. Autant dire que la liberté retrouvée a un prix. Mais Spark ne manque ni d'idées ni de soutiens.

L'équipe pensante (qui reste, elle, bénévole) réfléchit à multiplier les sources de financement, en allant voir du côté du CNC et d'autres bourses, et en jouissant aussi de la réputation glanée durant les années Arte. La Gare XP, haut lieu d'accueil de la création alternative aux portes de Paris, a mis un coin de son atelier à disposition de l'équipe, qui en a fait son QG. De nombreuses personnalités comme Michel Hazanavicius ou Jules-Édouard Moustic ont accepté de vendre certaines de leurs œuvres au profit du projet. Des festivals, enfin, lui réservent un bout de scène.

Spark envisage d'ailleurs de monter son propre festival en plus des émissions publiées sur YouTube, et on peut déjà retrouver le projet sur Twitch pour des interviews, des reportages live, des performances ou de simples échanges avec la communauté. Une véritable diversification d'activités donc, histoire de multiplier les supports et les sources de revenus.

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C'est sans doute cet aspect, celui du coût et des revenus, qui a poussé Arte à continuer «Tracks», certes, mais en se séparant des onze membres de sa rédaction pour les remplacer par une équipe plus restreinte. La marque «Tracks» reste ainsi propriété d'Arte, mais comme le disait Gianni Collot, réalisateur intermittent pour l'émission, sur le plateau d'«Arrêt sur images» en décembre 2022: «“Tracks”, ce n'est pas qu'un nom.»

Peut-être, en effet, feu-«Tracks»-aujourd'hui-Spark est-il plus que ça. Un programme télé qui parlait de divers mouvements culturels et qui, en changeant de nom et de plateforme, est devenu un mouvement lui-même. Un mouvement pas si apolitique que cela, qui se positionne pour que vivent toutes les cultures et, au passage, que survive tout un métier: celui du journalisme culturel, ce métier d'enquête.

QOSHE - En quête de culture: les anciens de «Tracks» lancent Spark - Thomas Deslogis
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En quête de culture: les anciens de «Tracks» lancent Spark

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26.11.2023

Temps de lecture: 3 min

«Enquêter.» C'est sur ce verbe que décide d'insister la vidéo d'appel à soutien à Spark. Un choix de vocabulaire d'autant plus judicieux qu'il peut d'abord surprendre quand on sait qu'il s'agit du nouveau projet de l'équipe qui se trouvait précédemment derrière «Tracks», programme télé culte consacré aux cultures hors normes. Programme toujours surprenant, justement. Mais en décembre 2022, Arte a brutalement licencié l'ensemble de la rédaction, un quart de siècle après son lancement en 1997.

De fait, le souvenir laissé par «Tracks» évoque moins le mot «enquête» que d'autres tels que «fou», «fascinant», «inspirant», «beau», «bizarre», «libre». Oui, ce sont plutôt ces termes qui viennent à l'esprit quand on repense à «Tracks» et au monde infiniment créatif que l'émission offrait à nos yeux et à nos oreilles.

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