Temps de lecture: 5 min

Sur le plan de la qualité cinématographique, les plateformes les plus connues ne sont même plus en capacité de nous décevoir: en matière de septième art, on a compris depuis longtemps que l'innovation et la prise de risques ne faisaient pas ou plus partie de leurs cahiers des charges.

Bref, personne ne s'abonne (ou ne reste abonné) à Netflix ou Prime Video pour la qualité de l'offre cinéma; les films originaux sont rarement assez accrocheurs et le catalogue proposé sent souvent un peu le fond de tiroir. Cela semble encore plus assumé de la part de la plateforme chapeautée par Amazon, dont la version française privilégie clairement le championnat de football de Ligue 1 et les programmes de pur divertissement façon LOL: qui rit, sort ou Celebrity Hunted, qu'on imagine bien plus rentables.

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Reste que cela vaut le coup de continuer à se tenir au courant et à gratter un peu, puisque de temps à autre surgit une pépite qu'il serait dommage de louper. Voici donc quelques films recommandables disponibles sur Amazon Prime Video, sortis il y a quelques jours ou quelques mois, et qui mériteraient d'être vus davantage, pourquoi pas sous un plaid avec un chocolat chaud –en revanche, tenez les enfants éloignés, surtout de Bodies Bodies Bodies, qui n'est pas franchement le film de Noël idéal pour eux.

Il est un peu gênant que, depuis une quinzaine d'années, tous les films basés sur des ados en rut soient systématiquement comparés à SuperGrave, qui constitue certes une référence en la matière. Du deuxième film d'Emma Seligman (Shiva Baby), on évitera donc de dire qu'il s'agit d'un SuperGrave lesbien, même si dans l'idée, c'est un peu de cela qu'il s'agit.

Coscénariste de Bottoms avec Rachel Sennott, héroïne de son premier film et qui interprète ici l'un des deux premiers rôles, Emma Seligman bâtit une comédie dont la singularité première est avant tout liée à l'identité de ses protagonistes principales et à ce qu'elle en fait. Lycéennes lesbiennes, Josie et PJ sont considérées comme des tocardes, mais comme elles ont très envie de coucher avec des filles, elles décident de créer l'événement... en montant un fight club. Alors qu'elles n'ont a priori aucune compétence pour ça.

Entre cours d'autodéfense et club féministe, les participantes de cette étrange activité extrascolaire vont surtout découvrir qu'elles sont moins seules que ce qu'elles croyaient; quant à PJ et Josie, tout en tentant d'arriver à leurs fins, elles vont aussi et surtout faire des rencontres et réaliser qu'à condition de ne pas (se) mentir, elles peuvent tout à fait trouver leur place. Ce récit d'apprentissage est très drôle, mais sous son aspect potache il permet surtout aux autrices de balancer quelques vérités sur le féminisme blanc, la place des hommes et le caractère parfois illusoire de la sororité. Un petit régal.

La méconnue Rachel Sennott est visiblement l'héroïne de cet article, puisqu'elle tient également l'un des rôles principaux de ce jeu de massacre (au sens propre comme au sens figuré) produit par les gens de chez A24 –dont la réputation riche en swag est notamment due à leurs collaborations avec Ari Aster (à propos, vous avez vu Beau is afraid? Si oui, comment ça va?) ou les Daniels (réalisateurs de Everything Everywhere All At Once).

Se déroulant intégralement dans l'immense propriété prêtée par les parents de l'une d'entre elles, Bodies Bodies Bodies montre comment le week-end de cinq jeunes femmes (et de deux pièces rapportées masculines) va rapidement se transformer en un bain de sang sur fond de suspicions et de rancœurs. Une mort en entraîne une autre, les langues se délient et les masques tombent, c'est absolument délectable sur tous les plans.

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Visuellement inventif, développant des problématiques aussi modernes qu'acerbes (peut-on tuer ses amies parce qu'elles n'écoutent pas votre podcast?), ce premier film de Halina Reijn (réalisatrice néerlandaise installée aux États-Unis) est coécrit par Kristen Roupenian, dont vous devriez lire le recueil de nouvelles Avoue que t'en meurs d'envie. On y retrouve la même acidité, ainsi que cette envie débordante de jouer avec les convenances. Le film réussit l'exploit d'être haletant et drôle jusqu'à sa dernière image –c'est suffisamment rare pour être souligné.

Vous n'arrivez plus à suivre la trajectoire de Nicolas Cage? Rien de plus normal. Star hollywoodienne il y a vingt ans, oscarisé pour Leaving Las Vegas (film injustement oublié), le héros de Rock et Volte/face a ensuite disparu des radars, contraint d'aligner les rôles nazes dans des films nazes afin de combler le trou béant qui lui servait de compte en banque. Mais la vie est pleine de surprises et personne n'est à l'abri du retour de hype (sauf Manuel Valls, espérons).

C'est ainsi qu'en quelques films, Cage est devenu une icône méta, le roi du rôle décalé et de la mise en abyme. Homme télécommandé chez l'incroyable Sono Sion (Prisoners of the Ghostland), simili John Wick désireux de retrouver son cochon (Pig), le voici ici dans la peau de... Nicolas Cage. Lui-même. Convié par un milliardaire, qui se considère comme son plus grand fan, à lui tenir compagnie, l'acteur se voit contraint d'accepter pour des raisons financières. Sans savoir où il met les pieds.

Il ne faut pas trop en dire sur Un talent en or massif, comédie rythmée et bondissante qui se dirige sans cesse là où on ne l'attend pas. On peut en tout cas affirmer que le duo formé par Nic Cage et Pedro Pascal, lui aussi propulsé icône depuis The Last of Us, vaut totalement le détour. Les deux hommes parviennent à trouver un point d'équilibre entre cabotinage –cela a même donné un mème– et jeu sérieux, à l'image d'un film avec lequel on ne sait jamais sur quel pied danser.

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Contrairement aux deux films suscités, le dernier Ben Affleck a bénéficié d'une promo conséquente, avec notamment une campagne d'affichage à la limite du matraquage. Il faut dire que sa présence derrière la caméra ainsi que celle de Matt Damon sont des arguments de vente suffisants. Mais Air ne serait évidemment rien sans la légende Michael Jordan, sujet central du film dont vous ne verrez cependant jamais le visage –ce qui contraint parfois Affleck à faire d'étranges choix de cadrage.

Le film raconte comment Sonny Vaccaro (Damon), simple VRP pour Nike, a fini par parvenir à faire signer celui qui n'était alors qu'un espoir (mais quel espoir!) du basketball mondial: Jordan lui-même, légende parmi les légendes et futur partenaire de Bugs Bunny dans Space Jam. Une histoire éminemment capitaliste, mais magnifiée par un storytelling bien ficelé. Bravo au scénariste Alex Convery, dont c'est le premier script à être porté à l'écran.

Oui, bravo, mais attention: le film romance largement la réalité, et il est toujours bon d'en avoir conscience. Car si Vaccaro et Phil Knight (le boss de Nike, joué par Affleck lui-même) n'ont sans doute pas démérité, l'âpre lutte décrite dans Air ne s'est pas franchement déroulée de cette façon. D'où un petit sentiment de frustration: quitte à avoir réécrit la légende, pourquoi ne pas avoir encore plus mis en valeur le rôle de Deloris Jordan, la mère de Michael, jouée avec intensité par Viola Davis, et qui aurait clairement mérité d'être le véritable personnage central du film?

QOSHE - En décembre sur Prime Video, des lesbiennes, des cadavres et Nicolas Cage - Thomas Messias
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En décembre sur Prime Video, des lesbiennes, des cadavres et Nicolas Cage

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30.11.2023

Temps de lecture: 5 min

Sur le plan de la qualité cinématographique, les plateformes les plus connues ne sont même plus en capacité de nous décevoir: en matière de septième art, on a compris depuis longtemps que l'innovation et la prise de risques ne faisaient pas ou plus partie de leurs cahiers des charges.

Bref, personne ne s'abonne (ou ne reste abonné) à Netflix ou Prime Video pour la qualité de l'offre cinéma; les films originaux sont rarement assez accrocheurs et le catalogue proposé sent souvent un peu le fond de tiroir. Cela semble encore plus assumé de la part de la plateforme chapeautée par Amazon, dont la version française privilégie clairement le championnat de football de Ligue 1 et les programmes de pur divertissement façon LOL: qui rit, sort ou Celebrity Hunted, qu'on imagine bien plus rentables.

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Reste que cela vaut le coup de continuer à se tenir au courant et à gratter un peu, puisque de temps à autre surgit une pépite qu'il serait dommage de louper. Voici donc quelques films recommandables disponibles sur Amazon Prime Video, sortis il y a quelques jours ou quelques mois, et qui mériteraient d'être vus davantage, pourquoi pas sous un plaid avec un chocolat chaud –en revanche, tenez les enfants éloignés, surtout de Bodies Bodies Bodies, qui n'est pas franchement le film de Noël idéal pour eux.

Il est un peu gênant que, depuis une quinzaine d'années, tous les films basés sur des ados en rut soient systématiquement comparés à SuperGrave, qui constitue certes une référence en la matière. Du deuxième film d'Emma Seligman (Shiva Baby), on évitera donc de dire qu'il s'agit d'un SuperGrave lesbien, même si dans l'idée, c'est un peu de cela qu'il s'agit.

Coscénariste de Bottoms avec Rachel Sennott, héroïne de son premier film et qui........

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