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Ce n'est pas encore cette année que Netflix raflera l'Oscar du meilleur film. Sauf excès d'académisme de la part de l'académie, le pompeux Maestro de Bradley Cooper ne devrait pas tirer son épingle du jeu, et il est peu probable que le nouveau Todd Haynes (May December, qui sortira chez nous en salles) soit même nommé dans cette catégorie (ses actrices, en revanche...).

Prime Video pensait peut-être son tour venu, Saltburn ayant à peu près tout du film à statuettes. Mais le long-métrage, déjà disponible en France, n'a reçu que deux nominations aux Golden Globes et il a peu de chances de faire mieux (ou même aussi bien) pour les prochains Oscars. De là à dire que les plateformes sont en train de s'essouffler, il n'y a qu'un pas –à moins qu'elles ne soient juste boudées par les différentes académies de votants.

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En d'autres temps, Le Monde après nous (beau et étrange film dont Anaïs Bordages nous parlait récemment) et Le Cercle des neiges (film très «Oscar friendly» qui figure dans la sélection ci-dessous) auraient fait le plein de nominations. Leur absence est assez révélatrice.

La fin justifie-t-elle les moyens? Cette question s'applique à Oliver Quick, jeune étudiant sans charisme ni réseau qui débarque un jour à Oxford et se rapproche fortuitement du riche et populaire Felix. Celui-ci finit par l'accueillir dans sa luxueuse demeure familiale, et le transforme peu à peu en invité permanent. Bienvenue à Saltburn, majestueux domaine où l'argent n'est tellement pas un problème que chacun peut se permettre de vivre selon ses règles et ses lubies.

Oliver (le si singulier Barry Keoghan, vu entre autres chez Yorgos Lánthimos) va peu à peu se fondre dans cet incroyable moule, croquer la vie à pleines dents comme si les lendemains n'existaient pas, et naviguer entre son obsession pour Felix (Jacob Elordi, la coqueluche du moment, vu d'Euphoria en Priscilla) et son envie de s'accomplir dans la vie. En résulte une formidable plongée chez les ultrariches, à la fois fantasque et vénéneuse.

Oui mais voilà: la fin justifie-t-elle vraiment les moyens? La question s'adresse aussi à Emerald Fennell, réalisatrice acclamée de Promising young woman, auquel Saltburn ressemble par plus d'un aspect... et notamment par cette façon insensée de tout gâcher (ou presque) en bricolant une conclusion didactique, explicative et inutile. Indéniablement talentueuse (dans ses meilleurs moments, Saltburn ressemble à Call me by your name), la scénariste et réalisatrice finit par sombrer dans une esbroufe bien dispensable.

Lorsqu'on parle de cannibalisme, l'une des histoires vraies qui revient fréquemment est celle des ces rugbymen uruguayens qui, après un crash aérien survenu dans les Andes, ont dû leur survie à une décision quelque peu compliquée. Pour tenir pendant plus de deux mois en pleine montagne, ils furent contraints de se nourrir de chair humaine, celle de leurs camarades ayant péri des suites de l'accident.

Cette histoire, qui s'est produite en 1972, a déjà donné un film, Les Survivants, hélas réalisé par le producteur Franck Marshall (qui, d'Arachnophobie en Congo, n'a jamais cessé de montrer l'étendue de son absence de talent de cinéaste). Poussif, sensationnaliste et mal casté (Ethan Hawke en rugbyman sud-américain, un grand moment), le film n'est pas resté dans les annales. D'où la volonté de l'Espagnol Juan Antonio Bayona (The Impossible, Jurassic World: Fallen Kingdom) de porter de nouveau cette histoire à l'écran.

Bayona n'a pas toujours été le roi de la finesse, mais il surprend ici par l'immense dignité avec laquelle il raconte cette histoire, s'attachant à parler de survie sous un angle intime alors qu'on aurait pu l'imaginer axer principalement sur le cannibalisme des protagonistes. Focalisé sur le courage de ses héros et leur esprit d'équipe, Le Cercle des neiges est une épopée humaine sensible et sobre... donc parfois un peu lénifiante. Netflix and sieste.

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Saoirse Ronan, quadruple nommée aux Oscars; Paul Mescal, au top de la hype depuis Normal People et Aftersun; un scénario mêlant drame conjugal et réflexion tech à la manière des épisodes de Black Mirror: Le Remplaçant (Foe en VO) avait probablement tout pour cartonner, auprès du public comme chez les votants des Golden Globes et des Oscars. Mais si la réussite d'un film pouvait se prévoir de façon aussi mathématique, cela se saurait. Et surtout, le cinéma n'aurait plus vraiment le même sel.

Garth Davis (réalisateur de Lion, avec Dev Patel, mais aussi de plusieurs épisodes de la série Top of the Lake) signe un film longtemps prometteur, porté par son duo d'interprètes, mais qui à force d'attentisme finit par ne jamais vraiment décoller. C'est l'histoire d'un couple de cultivateurs qui apprend un jour qu'il va bientôt être séparé: monsieur a été tiré au sort pour faire partie de la mission qui va aller tester une station orbitale –ce n'est pas un cadeau, mais une obligation.

En introduisant peu à peu un troisième personnage principal, puis en suggérant que le futur voyageur de l'espace puisse être remplacé par un avatar numérique afin de combler la solitude de celle qui restera sur Terre, Le Remplaçant multiplie les rebonds. Mais il le fait toujours sur le même ton un peu monocorde, qui finit par émousser sérieusement son intérêt. Et puis il y a cette façon de tirer à la ligne qui donne envie de rappeler cette évidence: mieux vaut un bon film d'une heure vingt qu'un ennuyeux d'une heure cinquante.

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Victor Hugo a écrit que «les calembours sont la fiente de l'esprit qui vole» (c'est dans Les Misérables, figurez-vous). S'il avait vécu au XXe ou au XXIe siècle, il aurait sans doute complété la citation en ajoutant «surtout dans les titres de films». Qu'une œuvre aussi délicate et poignante que celle-ci soit en partie entachée par son titre français est véritablement regrettable. Coucou Netflix, si vous cherchez des titreurs, n'hésitez pas à faire signe.

En VO, L'Effet veuf (non mais franchement) s'appelle Good Grief, et c'est tellement mieux comme ça. Écrit, réalisé et interprété par Dan Levy (la série Schitt's Creek), c'est le récit du parcours d'un homme venant de perdre son mari. Mais comment «bien» faire son deuil lorsqu'on découvre que son époux avait une double vie et qu'il s'apprêtait à vous en parler après des années de dissimulation?

C'est en grande partie à Paris que le processus de réparation va se mettre en place. Entouré de deux amis chers (merveilleusement joués par Himesh Patel et Ruth Negga), le héros avance, étape par étape, au gré d'un film doux-amer, qui donne à la fois envie de pleurer, de rire et de (re)tomber amoureux. Dans le rôle d'un «french lover» qui va aider le personnage à reprendre goût à la vie, Arnaud Valois fait battre nos cœurs. Et c'est très beau, comme un premier baiser devant les nymphéas de Monet.

QOSHE - Sur Netflix et Prime Video, quatre films qui passeront l'hiver - Thomas Messias
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Sur Netflix et Prime Video, quatre films qui passeront l'hiver

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12.01.2024

Temps de lecture: 5 min

Ce n'est pas encore cette année que Netflix raflera l'Oscar du meilleur film. Sauf excès d'académisme de la part de l'académie, le pompeux Maestro de Bradley Cooper ne devrait pas tirer son épingle du jeu, et il est peu probable que le nouveau Todd Haynes (May December, qui sortira chez nous en salles) soit même nommé dans cette catégorie (ses actrices, en revanche...).

Prime Video pensait peut-être son tour venu, Saltburn ayant à peu près tout du film à statuettes. Mais le long-métrage, déjà disponible en France, n'a reçu que deux nominations aux Golden Globes et il a peu de chances de faire mieux (ou même aussi bien) pour les prochains Oscars. De là à dire que les plateformes sont en train de s'essouffler, il n'y a qu'un pas –à moins qu'elles ne soient juste boudées par les différentes académies de votants.

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En d'autres temps, Le Monde après nous (beau et étrange film dont Anaïs Bordages nous parlait récemment) et Le Cercle des neiges (film très «Oscar friendly» qui figure dans la sélection ci-dessous) auraient fait le plein de nominations. Leur absence est assez révélatrice.

La fin justifie-t-elle les moyens? Cette question s'applique à Oliver Quick, jeune étudiant sans charisme ni réseau qui débarque un jour à Oxford et se rapproche fortuitement du riche et populaire Felix. Celui-ci finit par l'accueillir dans sa luxueuse demeure familiale, et le transforme peu à peu en invité permanent. Bienvenue à Saltburn, majestueux domaine où l'argent n'est tellement pas un problème que chacun peut se permettre de vivre selon ses règles et ses lubies.

Oliver (le si singulier Barry Keoghan, vu entre autres chez Yorgos Lánthimos) va........

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